Vénus et Adonis Éliphas Lévi (1810 - 1875)

Les amours sont en deuil, car Adonis est mort.
Vénus, abandonnée au plus cruel transport,
Répand autant de pleurs dans les maux qu'elle endure
Qu'Adonis perd de sang par sa large blessure.
La terre boit à peine et ce sang et ces pleurs,
Qu'elle en devient plus belle et se couvre de fleurs.
Les roses dans le sang rougissent leurs couronnes,
Et les pleurs sont changés en tristes anémones.

Pleure sur Adonis, pleure son triste sort ;
Le charmant Adonis, ton Adonis est mort.
Qui pourrait maintenant, déplorable déesse,
Reprocher leur démence à tes cris de tristesse ?
Pour le bel Adonis un lit est préparé,
Vénus, un lit de fleurs, de belles fleurs paré.
Sur ce lit, ton trésor est étendu sans vie :
Sa beauté par la mort n'a pas été ravie,
Ses membres mollement semblent être assoupis :
Il vient de s'endormir sur ces mêmes tapis
Qui l'ont senti souvent, pendant vos nuits heureuses,
Tressaillir au toucher de tes mains amoureuses.
Heureux du moins, il meurt digne encor d'être aimé.
Mais à peine sur lui le cercueil est fermé,
Que Vénus, oubliant ses dépouilles mortelles,
Cherche un autre vainqueur et des amours nouvelles ;
Elle sent que les pleurs fatigueraient ses yeux.
Momus bientôt murmure à l'oreille des dieux
Que Mars est mal puni de sa cruelle audace,
Et qu'il a de Vénus enfin ravi la grâce ;
Puis, devant le soleil, souriant et jaloux,
Dans ses filets d'acier son malheureux époux
Aux mânes d'Adonis la surprend infidèle,
Et seulement alors se croit trahi par elle.

Promesses des amours, larmes de la beauté,
Qu'est-ce que tout cela ? Mensonge et vanité !
Heureux pourtant celui, quand vient sa dernière heure,
Qu'amour trompa longtemps et que la beauté pleure.

Livre VI, fable 18




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