Un âne appartenant au bourguignon Jean-Pierre
Gisait à moitié mort sur sa fraîche litière.
L’homme de l’art mandé, visite l’animal,
Et constate aisément la gravité du mal.
— Votre grison, meunier, refuse sa pitance ? —
Il s’obstine Monsieur dans la rude abstinence
D’un carme déchaussé. Sentez-moi ce bon foin
Fauché par mes garçons là-bas près du moulin.
À n’y toucher des dents le bourriquet s’entête,
En ceci comme en tout il n’en fait qu’à sa tête.
Nonobstant, je le soigne aussi bien qu’un chrétien,
On peut vérifier, il ne lui manque rien.
— En effet, mon ami, dit le vétérinaire,
Il ne saurait périr de froid ni de misère,
Vous l’avez sainement couvert d’un chaud tapis.
— C’est celui que l’hiver nous drapons sur nos lits.
Oh ! nous le dorlotons autant qu’un fils de reine.
Sauvez-nous le Monsieur en retour de la peine ;
Son mal coûte si cher, il ne travaille pas,
L’âne qui le remplace est d’un grand embarras :
Il dévore pour deux, et lentement chemine
Lorsqu’il a sur le dos plusieurs sacs de farine ;
Le nôtre les portait, Morguienne ! allègrement.
— Le traitiez-vous alors avec ménagement ?
Non, vous lui mesuriez sa maigre nourriture,
La litière était vieille et l’existence dure,
Il recevait des coups.
Ses blessures au col, aux sabots, aux genoux
Ne guériront jamais. Ma science condamne
Jean-Pierre à déplorer la perte de son âne.
— Mais s’il mourait, Monsieur, mon argent est perdu ?
Gémit les bras au ciel le meunier éperdu.
— Châtiment mérité, s’il punit les sévices,
Les affreux jurements, les sottes avarices,
De vous et vos pareils, volontaires bourreaux,
Cruels plus que Néron envers les animaux.
L’argent que l’on épargne aux dépens de la vie.
Se dépense en faux frais pendant la maladie.