Le secret de l'Éducation Claude-Joseph Dorat (1734 - 1780)

Une Bonne, une Tante, une Mère est suspecte.
La jeunesse est toujours prompte à s'effaroucher ;
Pour la mener au but, il faut le lui cacher :
La leçon instruit mieux, quand elle est indirecte.
Prouvons. Avec sa tante une nièce habitait :
La nièce avait seize ans, beaux yeux, joli corsage,
Et déjà même on la citait
Pour la Psyché du voisinage.
Mais, avec les attraits qui parent le bel âge,
Elle en avait tous les défauts.
Elle courait, allait, parlait mal à propos,
Se coiffait à triple étage,
Et détestait les plus légers travaux.
Aussi pas un amant n'y fixait son hommage :
Les Epouseurs surtout se tenaient clos.

Joignez à cette humeur, volage et peu flexible,
La curiosité la plus incorrigible :
Elle voulait tout voir, tout épier :
Personne ne savait mieux qu'elle,
Et l'historiette nouvelle,
Et la chronique du quartier.
Son intelligente tutrice,
Quoique cherchant à la flatter,
Reconnut en elle ce vice,
Et résolut d'en profiter.
Dans une chambre solitaire
Un jour, elle s'enferme et fait sonner ses clés.
Les désirs curieux à ce bruit éveillés,
La belle de trotter, comme à son ordinaire,
Se suspendant sur la pointe des pieds.
La voilà qui s'attache au trou de la serrure :
Elle contraint ses moindres, mouvements ;
L'oreille est aux aguets, les yeux sont plus ardents,
Et d'un voile qui vole on maudit le murmure.
Que voit-on ? la tante à genoux,
Et s'écriant, d'un ton sensible et doux :
Toi, qui changes les cœurs, Dieu, permets que ma nièce
Agisse si bien désormais,
Qu'elle mérite la tendresse
De ce mortel charmant, qui l'aime avec excès,
Se cache par délicatesse,
Et m'a fait signer la promesse
De seconder ses vœux secrets.
Se doutant bien qu'elle était écoutée,
Elle poursuit : ô Ciel ! dans tous les tems,
Puisse-t-elle se voir chérie et respectée !
Qu'elle soit mère, un jour, de vertueux enfants ;
Et que son jeune époux, dans un nœud légitime,
Goûtant les charmes du retour,
Affermisse encor par l'estime
Les tendres chaînes de l'Amour !..

SA pupille se trouble et jure d'être sage :
De transports inconnus son cœur est agité,
Des pleurs inondent son visage ;
Elle fuit ; le coup est porté.
De ses cheveux adieu tout l'édifice.
Une coifse modeste en cache la beauté :
Son tour de gorge est remonté ;
Elle plaira sans artifice.
Plus simple, elle en a plus d'appas.
Déjà la réforme est sentie :
Notre nouvelle convertie
Fait rêver les plus délicats ;
Puis les Adorateurs d'accourir sur ses pas,
Aujourd'hui quinze, demain trente ;
Et la nièce, bientôt, grâce à son changement ;
Voit se réaliser l'amant
Qu'avait imaginé la tante.

Ma fable enferme plus d'un sens :
Vous, qui conduisez la jeunesse,
N'employez pas les moyens violents ;
La douceur est souvent l'arme de la sagesse.
Un mot encor : cultiver des talents,
Diriger des vertus, c'est l'art des plus novices ;
Et les Instituteurs savants
Corrigent leur élève, en dirigeant ses vices.

Livre I, fable 5


Note de l'auteur : Cette Fable pourrait passer pour un petit Conte moral et l'on en trouvera dans ce Recueil plusieurs du même genre ; mais j'ai cru devoir les comprendre toutes sous le même titre.

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