Le Chien et la Poule Edmé Boursault (1638 - 1701)

Un Chien défunt passait en son vivant
Pour la merveille des merveilles :
Jamais dit-on, Chien n'eut auparavant
Ni plus petit ni plus grandes oreilles :
Quoi que sot et farouche il faisait le plaisir
D'une jeune et folle maîtresse,
Qui jamais n'avait de loisir
Sans lui faire quelque caresse.
Il ne mangeait que du biscuit ;
Ne buvait que du lait dans de la porcelaine ;
Et se reposait jour et nuit
Que sur des matelas de la plus fine laine.
La dame ayant beaucoup d'attraits,
(Marchandise qui fuit avec le temps qui coule)
Pour les entretenir nourrissait une Poule
Dont tous les jours sans faute elle avait un œuf frais.
Quoi qu'elle lui fût plus utile
Que le petit camard de chien.
Jamais à cette poule elle ne donnait rien
Tant le pauvre animal lui semblait imbécile.
Elle ne vivait bien souvent
Que de quelque araignée, ou de quelque chenille ;
Et couchait sur une cheville
Exposée aux rigueurs de la pluie et du vent.
Un jour, de nourriture ayant grande disette,
Elle entre par hasard dans la salle à manger,
Espérant sous la table attraper quelque miette ;
Mais le chien l'aperçut qui la fit enrager.
La décence étant naturelle
La poule aux coups de dent répond à coups de bec :
Et le maître injuste, aussi bien que cruelle
Pour la punir de son peu de respect
Veut que sur le champs elle meure.
Quelques moments après ayant mis son toutou
Sur le lit de velours, pour y dormir une heure,
Il se laisse tomber et se casse le cou.
Les voilà tout deux morts. Voyons la suite, on crie :
La maîtresse du chien paraît au désespoir :
Pleure, gémit, soupire : Et pour dernier devoir
Le fait jeter à la voirie.
La poule eut un plus heureux sort :
A peine la clarté lui fut-elle ravie
Que par les honneurs de la mort
On la dédommagea des peines de sa vie.
Pendant qu'au milieu d'un égoût,
Le chien barbotte dans l'ordure
Au gré de sa maîtresse elle est d'un si bon goût
Qu'elle en veut elle même être la sépulture
Si le vice est si haut et la vertu si bas
Il ne faut pas qu'on s'en irrite :
Pour le moins après le trépas
Rend-on justice au vrai mérite.



Note de l'auteur : Peut-être, monsieur, trouverez-vous que c'est un peu tard : mais i les louanges d'après la mort dont infructueuses, au moins ne font-elles pas suspectes et le pauvre monsieur de Rouilly n'étant pas d'un rang à avoir une oraison funèbre, il est à l'abri de la flatterie et du mensonge...

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