De tous les animaux le Ciel a fait la part ;
Chacun a son esprit, ses mœurs, son caractère'.
La finesse échut au renard ;
La nature a donné la rage à la panthère,
Le courage au lion, l'habit au léopard,
La douceur aux brebis, aux singes la malice.
Ces derniers de tous temps ont fait prosession
De nuire aux gens : le mal est leur plus cher délice.
Celui que dans ces vers je mets en action
Pour les tours était passé maître.
Il vit, chemin faisant, les gens d'une maison
À des branches de bois approcher un tison,
Souffler dessus, puis la flamme paraître ;
Chose assez nouvelle pour lui.
Oh ! oh ! dit le magot, ceci tient du miracle !
Comme ce feu m'a réjoui l
Que cette flamme qui m'a lui,
Dans les mains de Bertrand ferait un beau spectacle !...
Pourquoi pas ? à profit mettons l'esprit d'autrui.
Allons, faisons flamme et fumée,
À ces mots l'animal pervers
Court au foyer, saisit une torche allumée ;
Grimpe au toit, met le feu. De la poutre enflammée
Soudain jaillissent mille éclairs,
Un tourbillon s'élève, et l'édifice brûle.
Le drôle chauffé de trop près,
Se blottit sur un monticule ;
Et de l'embrasement admire les effets.
Au bruit des murs croulants et du feu qui pétille'
Sortent mari, femme, garçon et fille,
Les uns emportant le trésor,
D'autres les portraits de famille ;
Ceux-ci couçant, criant, à maint valet qui pille
Arrachent la vaisselle et l'or.
Durant ce beau fracas, tel que le fils d'Achille
Regardant brûler Ilion,
Bertrand le singe, fils de Gille,
Était tout fier de voir s*embraser la maison :
C'était pour lui les murs de Troie,
À l'aspect du tumulte et de ces flots d'humains
Qui vont embarrassant la voie,
De la flamme qui monte et dans l'air se déploie,
Dés chiens hurlant sur les chemins,
Et des eaux qu'un long tube envoie,
Notre Singe battant des mains,
Disait : Oh ! le beau feu de joie.

Nuire est le charme des méchants,
Que le mal leur profite ou leur soit inutile,
Ils le font. J'en connais qui brûleraient la ville,
Pour le plaisir de voir courir les gens.

Livre I, Fable 3




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