Le Rat et la Souris en société Eugénie et Laure Fiot (19ème siècle)

Jadis un rat, une souris,
De logis séparés vivaient de cœur unis ;
L'amitié leur donnait bien douce jouissance!...
Ils ne se voyaient pas, il est vrai, très-souvent,
Mais leur plaisir n'en était que plus grand.
Ils commirent bientôt cette grave imprudence,
D'organiser entre eux une société
Qui vint troubler leur cordialité.
Un jour donc ayant, arrêté ,
De chercher en commun leur vie,
Ils vont gaîment, de compagnie,
Se cacher dans l'obscurité
De la chambre d'un vieux notaire ;
Et là, parmi dossiers poudreux,
Où notre rat passait des moments fort heureux,
Us terminent l'affaire,
En se jurant tous deux, foi sur d'anciens contrats.
Et la société de là se met en route,
Va, vient, trotte partout, ramasse grain et croûte,
Et procède à de bons repas.
Du bien acquis rongeant une partie,
Elle met l'autre en magasin.
Chaque associé tient pour très-bon son lopin.
Cela dura huit jours, mais le neuvième, enfin,
La part des obligés fut moins bien répartie;
Ce fut sujet d'abord de rixes au dedans,
Puis l'on vint à jouer des dents;
Mais lequel avait tort de l'ami, de l'amie?
Tous deux, souris à part, au magasin rongeait,
Et rat, de son côté, du meilleur se gorgeait.
« Chez moi tu manges tout, et causes ma ruine,
S'écriait celui-ci. La souris ripostait :
Tu me donnes le son et manges la farine ! »
Ne pouvant donc plus y tenir,
Us partirent pour en finir,
L'un d'un côté, l'autre, d'un autre.

Souvent, en cas pareil, leur destin est le nôtre,
Car l'intérêt nous brouille, associés, amis,
Et même rend les frères ennemis.

Fables nouvelles, Livre V, Fable 2, 1851




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