Un lézard, assez étourdi,
A son frère disait, un jour, en plein midi :
« Nous menons ici bas une pauvre existence !
Nous n'avons aucune importance...
Que sommes-nous dans la création?
Rien qui mérite attention,
Ou bien fort peu de chose
Que l'on méprise et dont on glose.
Eut-on jamais un sort pareil ?
On nous voit, il est vrai, sautiller au soleil,
Mais plus souvent ramper comme couleuvre.
Nature, en nous créant, ne fit pas un chef-d'oeuvre !
Si nous étions, du moins, comme, le cerf des bois;
On nous verrait marcher, fiers de notre ramée !
Comme il disait ces mots, un beau cerf aux abois,
Que poursuivait une meute affamée,
S'embarrasse aux taillis et subit la curée.
Ce malheur, pour nos deux lézards,
Fut le plus heureux des hasards ;
Car le moins sage, alors, admirant la nature,
Satisfait du sort qu'il endure.
S'applaudit d'être lié dans les plus humbles rangs,
Et trouva les petits plus heureux que les grands.

Fables nouvelles, Livre VI, Fable 9, 1851




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