Au coin d’un bois, le long d’une muraille,
Deux lézards, bons amis, conversaient au soleil.
Que notre état est mince ! En est-il un pareil ?
Dit l’un. Nous respirons ici vaille que vaille ;
Et puis c’est tout ; à peine le sait-on,
Nul rang, nulle distinction.
Que maudit soit le sort de m’avoir fait reptile.
Encor, si comme on dit que l’on en trouve ailleurs,
Il m’eût fait gros lézard, et nommé crocodile,
J’aurais ma bonne part d’honneurs :
Je ferais revenir la mode
Du tems où sur le Nil l’homme prenait sa loi ;
Encensé comme une pagode
Je tiendrais bien mon quant à moi.
Bon, dit l’ami sensé ; quel regret est le vôtre ?
Comptez-vous donc pour rien de vivre sans souci ?
L’air, la campagne, l’eau, le soleil, tout est nôtre :
Jouissons-en, rien ne nous trouble ici.
Mais l’homme nous méprise : en voilà bien d’une autre.
Ne saurions-nous le mépriser aussi ?
Que vous avez l’âme petite,
Dit le reptile ambitieux !
Non, mon obscurité m’irrite,
Et je voudrais attirer tous les yeux.
Ah ! Que j’envie au cerf cette taille hautaine,
Et ce bois menaçant qui doit tout effrayer !
Je l’ai vu se mirer tantôt dans la fontaine,
Et cent fois de dépit j’ai pensé m’y noyer.
Il est interrompu par un grand bruit de chasse ;
Et bientôt le cerf relancé
Tombe près d’eux, et pleurant sa disgrâce,
Cède aux chiens dont il est pressé.
Au bruit d’un cor perçant, tout court à la curée ;
Ni meute, ni chasseur ne songent au lézard ;
Mais la bête superbe à la meute est livrée ;
Brifaut, Gerfaut, Miraut, chacun en prend sa part.
Après sa sanglante aventure,
Fait-il bon être cerf, dit l’ami sage ? Hélas !
Dit le fou détrompé ; vive la vie obscure.
Petits, les grands périls ne nous regardent pas.

Livre I, fable 12






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