Coypel, digne héritier d’un Appelle nouveau,
Qui, recueillant sa sublime industrie,
T’es fait donner ta part de son pinceau
En pur avancement d’hoirie ;
Si loin que son art soit allé,
Il doit craindre qu’un jour ton savair ne l’égale.
Je l’en crois, entre nous, déjà tout consolé ;
Et nature en ravit l’honneur à la morale.
À mes travaux ajoute ici les tiens ;
Rends présent ce que je raconte.
Mes vers me semblent bons (chacun le croit des siens)
Mais du tableau l’impression plus prompte
Réunit en un seul moment
Ce que le vers ne dit que successivement.
Rassemble dans tes traits tout l’esprit de l’ouvrage ;
Peins même les discours dans l’air du personnage ;
Que ton pinceau moralise avant moi.
Tant mieux, si je suis presque inutile après toi.
Tu l’as fait. Ce tableau plaisamment formidable,
En action réelle érige mon récit.
Dans ce que tu peins tout est dit ;
Et qui le voit, a lu ma fable.
La nuit avait au monde amené le repos.
Le silence régnait sur toute la nature ;
Et l’obligeant Morphée à chaque créature
Faisait litière de pavots.
Une sorcière de Carie,
Une vieille Medée, une autre Canidie,
Sçavante en l’art d’interroger le sort,
Pour exercer sa science hardie,
Arrive dans un bois qui tremble à son abord.
Dans le centre d’un cercle elle établit la scène
De ses enchantements divers ;
Sur l’autel en triangle allume la verveine,
En prononçant les mots souverains des enfers.
Pour sacrifice au dieu du noir rivage,
Elle souffle la peste au plus prochain bercail ;
Et fait sur l’heure à l’innocent bétail
Perdre le goût du pâturage.
Pluton, de ce grand art le vassal immortel,
Députe à la sorcière une légion d’ombres,
Qui viennent des royaumes sombres
Comparaître au magique autel.
Ce n’est pas tout. Il faut que du ciel arrachée
La lune descende en ce bois.
De son char, par un mot, la voilà détachée.
Des pauvres cariens les tambours et les voix
La rappellent en vain : la lune est empêchée.
À quoi ? Vous allez voir. Dès que tout s’est rendu
Aux lois de la magicienne,
Tirez-moi de souci, leur dit la carienne ;
Où puis-je retrouver un chien que j’ai perdu ?
Quoi, fallait-il troubler l’ordre de la nature,
Lui dit Hecate, pour ton chien ?
Eh que m’importe son allure,
Dit la vieille, pourvu que je n’y perde rien ?
Que de gens ne seraient, avec même puissance,
Ni plus justes ni plus sensés !
Pour un rien ils mettraient tout le monde en souffrance :
Ils se contentent ; c’est assez.
Est-ce hyperbole ? Non : et ma fable s’appuie
D’un fait connu de l’univers.
Parce qu’Alexandre s’ennuie,
Il va mettre le monde aux fers.