Une brebis, jeune et jolie,
La gloire et l'honneur du troupeau,
Epouse un loup : j'allais vous dire un lionceau...
Brebis souvent se mésallie.
Je ne sais quel fin renard
Bâcla ce mariage.
Dès que la pauvre enfant eut goûté du ménage,
Elle se repentit; mais c'était un peu tard.
Son loup était atrabilaire,
Hargneux, avare et sanguinaire ;
Et quel loup ne l'est pas ?
La brebis, avec ses appats,
Ne pouvait égayer ce tyran domestique.
Ne sachant quel remède apporter à son sort,
« Par un dernier effort
J'en finirai, dit-elle; il faudra qu'il s'explique. »
C'était peut-être bien pensé ;
C'est ainsi qu'une femme aimante
S'agite et se tourmente.
Les yeux mouillés de pleurs, et le cœur oppressé,
A son époux elle tient ce langage:
« Noble seigneur, sous l'ombre du bocage,
Au pied de l'autel du dieu Pan,
N'avons-nous pas formé les nœuds de l'hyménée ?
Pour mon peuple ce fut une heure fortunée,
Le signe de la paix ; et ce joli ruban,
À la blanche couleur, sans cesse vous rappelle
Vos serments et vos vœux.
Eve nouvelle,
Fais des heureux !
Loups et brebis chemineront ensemble ;
Désormais plus de trahison ;
Qu'enfin la gaîté nous rassemble
Soir et matin sur le gazon ;
La fontaine limpide et l'herbe parfumée
(Les dieux m'en sont témoins! )
Doivent suffire à nos besoins:
Plus de guerre entre nous; la paix est confirmée. »
Je crus à vos serments...
Tendres amans,
Tout nous sourit, plaisirs, honneurs, richesses;
Vos amis et les miens, nous comblant de largesses,
Ont tout fait pour nous rendre heureux,
Et leurs faveurs ont dépassé nos vœux.
Pourquoi, sur votre front sévère
Voit-on toujours un signe de colère?
Vous avez mes parents près de vous assidus.
Vous ne répondez pas... Ah! vous ne m'aimez plus... »
Et la pauvre brebis pleure, gémit, sanglote ;
Messire loup reste confus, marmotte
Quelques mots,
S'excuse... puis enfin découvre ses complots.
« Tous vos bergers et votre race inique
Sont ligués contre moi ;
Ils soupçonnent ma foi...
Malheur à cette clique !
Un jeune agneau,
Je le sais, a juré ma honte et ma ruine;
Il soulève déjà les anciens du troupeau
Attendrai-je qu'un jour, demain, il m'assassine?
— Qu'avcz-vous dit, seigneur?
Vous appelez un traître
Un faible enfant qui vient de nahre !
— Ne cherchez point, madame, à calmer ma fureur;
Je veux du sang...—Du sang!— Oui,voilàmonbrcuvagc;
Ce goût est inné chez les miens :
Agir ainsi, c'est être sage;
Oui, contre tous, je le soutiens.
Etrangler, c'est ma politique.,.
Du jeune audacieux je saisirai les biens:
Tel est le droit du loup, et je le revendique.
J'ai dit... »
Sur ce, le pauvre agneau passe dans le bocage;
L'aide-de-camp du loup, maître renard, le suit ;
Tous les loups font tapage.
Le jeune nourrisson gagne un lointain rivage...
Il perd ses biens ! il est proscrit !
Ainsi succombe l'innocence.
Jeunes brebis, n'épousez point les loups:
Vos parents, tôt ou tard, tomberaient sous leurs coups;
N'en faites pas l'expérience.