Le Bossu Fleury Flouch (19ème)

Avouer ses défauts, c'est le début d'un sage.
On ne se donne point les grâces, la beauté ;
Phèdre l'a dit : l'esprit et l'amabilité
Rachètent les défauts du corps et du visage.
Dans Paris, ville du bon ton,
On citait un bossu pétri de gentillesse ;
Il maniait avec adresse
Le pistolet, l'épée et l'espadon.
Il riait le premier de sa fausse grossesse :
Jetant ainsi quelque pâture aux sots.
Les frelons d'almanach lui volaient ses bons mots.
Il parcourait l'honorable carrière
Où d'Aguesseau laissa tout son siècle en arrière :
C'est dire assez qu'il était avocat.
Doué d'une heureuse figure,
Avec noblesse il portait le rabat,
Et suppléait au défaut de stature
Par cette gravité qui sied au magistrat.
Se livrait-il à sa verve oratoire,
Sa bosse alors faisait tableau ;
C'était alors qu'il était beau,
Et qu'il régnait, nous dit l'histoire,
Comme un tyran sur l'auditoire !
Peut-être, alors, ses confrères émus
Qu'il transportait d'un geste dans Athènes,
Pour devenir aussi de nouveaux Démosthènes,
Auraient dit au destin de les rendre bossus.
Qui peut de la parole arrêter la puissance ?
Mon bossu, protégé par le dieu du silence,
Renfermait dans son temple un peuple adorateur
Qui n'en pouvait sortir qu'avec son orateur.
Ainsi, dans les siècles d'enfance,
Quand du Styx aux neuf bras les flots couleur de fer
Portaient Caron, nautonnier de l'enfer ;
Quand l'olympe des dieux illustrait la démence,
Mercure, à sa parole ouvrant un noble essor,
Promenait les païens avec des chaînes d'or
Sur les flots de son éloquence.
Enfin, de ce bossu le magique pouvair
Rendait toujours nouveau le plaisir de le voir.
Revenait-il du prétaire civique
Dans les salons où plus d'un grand se pique
De justice et d'urbanité
En outrageant parfois l'humanité,
De tout un cercle il faisait les délices ;
Des belles avec art il flattait les caprices.
La conversation, reine au front absolu,
Qui règle le langage et les belles manières,
Et conduit avec des lisières
Le fat qui pense avoir tout vu,
A l'avocat incomparable
Réservait dans sa cour une place honorable.
A son talent cet hommage était dû :
D'originalité tout entier revêtu,
Il donnait un air neuf, une forme agréable
Au vieil habit d'un conte rebattu.
Type brillant de l'homme aimable,
Il pétillait d'esprit.
L'amour dans ses filets le prit :
Il porta de l'hymen les chaînes solennelles.
Emule des maris-modèles,
Il vécut dans l'éclat de la célébrité
Que donne le talent joint à la probité.