La Ville des Bossus J-M Henri Tinténiac (17?? - 1805)

Sur les bords de la Loire, et non loin d’Orléans
Il était une ville, ou tous les habitants
Étaientbossus. Était-ce ou devant ou derrière,
Ou bien des doux côtés ? C’est fort litigieux,
La fable n’en dit mot : enfin la ville entière
Ne renfermait que des Mayeux.
Arrive un étranger bien fait, dont les épaules
Gracieusement s’effaçaient.
Quoique part qu’il allât, tout aussitôt nos drôles
En chorus de lui se moquaient.
Mots piquants, brocards, ironie,
Dérision amère, et mainte vilenie,
Tout cela sur son dos pleuvait.
Pourquoi chez des bossus avoir le des bien fait ?
Il méritait force avanie.
Un des plus influents, député des bossus,
Spirituel comme un geai borgne,
Dit qu’il fallait s’asseoir dessus.
Ce disant, l’étranger avec mépris il lorgne.
Un bossu, non pas plus joli,
Mais que les autres plus poli,
Fend la foule et leur dit : Messieurs, quelle injustice,
Que d’ajouter l’insulte à son naturel vice !
Cet étranger paraît honnête assurément,
Si son air toutefois ne ment;
Mais s’il n’a pas reçu cette bosse honorable,
Et dont avec bon droit nous nous glorifions
Pour de très-solides raisons,
Plus malheureux que nous, en est-il plus coupable ?

Je désigne par cette fable
Et ces hommes pervers et ces cœurs corrompus,
Qui veulent qu’on honore ainsi que des vertus
Les vices qu’à chérir ils consument leur vie,
Et surtout cette tourbe impie
Qui se moque des gens pieux,
Le trouvant plus aisé, que de faire comme eux.





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