Les deux Postillons Fleury Flouch (19ème)

Un postillon adroit et fort,
Intronisé sur une diligence,
Obtint selon ses vœux, à force d'imprudence,
Le sobriquet de Guerre-à-mort.
Tout respirait en lui l'audace et la jactance ;
Il se disait le roi des postillons.
Redouté de ses compagnons,
Il les immolait tous à sa plaisanterie.
Un jour, l'un d'eux, piqué de sa forfanterie,
Voulut vaincre à son tour ce concurrent fameux,
Et si longtemps victorieux.
Guerre-à-mort, en passant, l'insulte à sa manière.
L'autre, indigné de rester en arrière,
Se livre à toute son ardeur.
Stimulé par le conducteur,
Et du péril écartant la pensée,
Il se hâte : au galop sa voiture est lancée.
Il faut que dans ce jour il venge son honneur ;
Ses amis l'ont choisi pour vider leurs querelles.
Son fouet à ses coursiers semble donner des ailes.
Guerre-à-mort qui le voit tout-à-coup s'approcher,
De deux doigts lui montrant les cornes,
Au tournant de la route, à l'une des deux bornes
Tente de l'accrocher :
En obliquant son rival le dépasse ;
Et Guerre-à-mort, de sa ligne écarté,
A l'autre borne s'embarrasse,
Et de son siège il est précipité.
Le choc l'étend raide mort sur la place.
Voilà le châtiment de la fatuité.
La route de la vie est féconde en culbutes :
Celui dont l'amour-propre éveille les disputes,
Est puni tôt ou tard de sa témérité.

Livre I, fable 6




Commentaires