Le Gland devenu Chêne Fleury Flouch (19ème)

Un chêne, roi-géant d'une forêt sauvage,
Convive du soleil, depuis quatre cents ans
Couvrant le sol d'un vaste ombrage,
Voyait croître en beauté ses rameaux verdoyants
Qui portaient un peuple de glands.
Un jour le souffle de Borée
Bannit l'un d'eux du palais paternel.
Le voilà sans appui sur la terre sacrée
Où son aïeul pose un pied solennel.
L'infortuné voit plusieurs de ses frères
Séparés comme lui des rameaux tutélaires
Qui les berçaient d'un si bel avenir ;
Comme eux, hélas ! il va donc se flétrir !
D'avance il compte ses misères.
Le jeune fils d'un laboureur,
En passant près du chêne,
Fait rouler sur l'arène
L'exilé récemment déchu de sa grandeur,
Et dépouillé de sa coque éperdue.
L'éclat du fruit charme sa vue,
Il l'emporte en disant : « Voyons la vérité
 » De la leçon que donnait maître Pierre :
Il assure qu'un gland dans la terre planté
Produit un chêne ; il veut en pépinière
Par ce moyen changer une clairière ;

Justement j'en vois une, essayons ».
Et soudain,
En sifflant un air de chaumière,
L'enfant porte ses pas vers le sol orphelin.
Bientôt il s'agenouille, et d'une main novice,
Il creuse avec ardeur un étroit précipice,
Y fait tomber le gland de l'autre main,
L'enterre et poursuit son chemin.
Le gland gémit en changeant de supplice,
Et de la terre il veut briser le sein.
Faible esclave !..... La terre à ses desirs s'oppose ;
Il faut qu'il se repose.
Longtemps privé du ciel, il voit enfin le jour :
O sublime métamorphose !
Il est arbre à son tour :
Sa feuille fraîchement éclose
Reçoit les baisers des zéphirs,
Et porte un collier de saphirs,
Don transparent de la rosée.
Il grandit ; tous les jours sa tige est arrosée.
Celui qui l'a planté le montre au voyageur.
L'arbre, de ses rameaux déployant la vigueur,
Semblable à son aïeul, règne au loin sur la plaine.
Il admire le sort qui d'un gland fait un chêne.
De ses enfants la plainte l'attendrit,
Lorsqu'il les voit tomber sur le sol qui frémit ;
Il voudrait soulager leur peine.
Il pleure ; il a connu l'exil et la douleur.
Son élévation sans doute est peu commune,
Et de ses fils la prière importune
N'obtiendra point du ciel le secours protecteur
Qui fit naître jadis de la même infortune
Le prodige de son bonheur.
 
Le gland, c'est l'homme obscur ; l'enfant, c'est la fortune ;
Et le chêne, c'est la grandeur.

Livre II, fable 5




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