Les Élections Fleury Flouch (19ème)

Un magistrat connu par ses prétentions,
Peu délicat surtout pour enfler sa fortune,
Dans je ne sais quelle commune
Procédait aux élections.
De ses administrés les manières agrestes,
Leur science bornée et leurs discours modestes,
Présentaient un champ libre à la mauvaise foi
De l'interprète de la loi.
Esclave du pouvair qui le tenait aux gages,
Dans une boîte à double fond
Le fourbe des votants recevait les suffrages.
D'autres billets portant le nom
Du candidat de sa façon,
Qu'un ministre, en secret, lui prescrivait d'élire,
Attendaient qu'il voulût les lire,
Protégés par une cloison.
Le secret tout à coup s'évente dans la salle :
On est certain du fait ; mais comment en public
Oser flétrir la foi municipale ?
On hésite, on se tait sous l'œil du basilic,
Et la verge décemvirale
Va porter en ce jour [une atteinte fatale
Aux droits électoraux violés sans pudeur.
Un campagnard, homme de cœur,
Jarrêt tendu, tête haute s'écrie :
« Electeurs, quel motif vous amène en ces lieux ?
Vous représentez la patrie,
Et vous devez voter libres comme les cieux.
Eh bien donc, avant tout sachez qu'on vous abuse :
Ouvrez ce réceptacle inventé par la ruse,
Et vous verrez, citoyens, si ma voix
Devait tarder à défendre vos droits ».
Cette apostrophe véhémente
Ainsi qu'une étincelle embrase tous les cœurs,
Où l'indignation de plus en plus fermente.
Le maire, assiégé de clameurs,
Trompé déjà dans son attente,
Pâlit et rougit tour-à-tour.
« Que les preuves, dit-on, paraissent au grand jour » !
La foule au même instant s'élance vers le traître,
Qui rêvait un fauteuil de ministre peut-être.
Le talisman du prévaricateur
A tous les yeux montre son déshonneur ;
Et sagement notre homme se retire,
Plus confus qu'un escamoteur
Dont la maladresse fait rire.
 
On voit des citoyens toujours prêts à souscrire
Aux saintes lois de l'équité ;
Mais il ne suffit pas d'aimer la vérité,
Il faut encor oser la dire.

Livre II, fable 4




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