La Mode et sa Cour Fleury Flouch (19ème)

Une déesse illustre, et dont les plus grands rois
Adorent la puissance, en merveilles féconde ;
Que respecte le Temps, ce vieux tyran du monde ;
Soeur delà Renommée, écho de tant de voix,
Et qui, pour affermir son règne et ses exploits,
Parcourt incessamment notre planète ronde,
La Mode, enfin, voulut un jour
De ses enfants terminer les querelles,
Et présider leurs débats dans sa cour.
On sait que la Mode a des ailes ;
La déité, belle des belles,
Vole comme un éclair
Vers son temple éternel qui se soutient dans l'air :
Unique monument du ciel mythologique,
Dont la colonnade magique
Fait aisément reconnaître la main
D'un architecte plus qu'humain.
Ses enfants l'attendaient rangés sous le portique.
Elle prononce un nom mystérieux,
Et la porte hiéroglyphique
Fait gémir en s'ouvrant les siècles fabuleux :
L'enceinte magnifique
Reçoit ses hôtes merveilleux ;
La porte, au même instant, se referme sur eux.
La déesse cosmopolite
Prend place sur un trône, et sa brillante élite
Couvre de tapis d'or les augustes degrés,
Où chaque demi-dieu de splendeur étincelle,
Etalant des tissus richement bigarrés ;
Tandis que vers la voûte en onde s'amoncèle,
En s'élevant d'un trépied de vermeil,
Un nuage sacré, tribut aromatique,
Dont la profane basilique
Présente l'hommage au soleil.
Heureuse de sa présidence,
La Mode, en souriant, s'adresse à l'Inconstance,
Dont les ailes de papillon
Font connaître l'humeur légère :
— « Que t'a fait le Plaisir, ton frère » ?
Et caressant un médaillon
Où s'encadre dans l'or le portrait de sa mère,
L'Inconstance répond que jamais le Plaisir
Assez tôt ne vient la servir ;
Que le bonheur pour elle est éphémère.
— « Je me plains de l'Orgueil, dit alors le Désir :
» Il dévoile à mes yeux d'innombrables richesses,
» Et je n'en peux jamais obtenir un cadeau »,
— « Tout beau !
Reprend le Luxe, « il faut mieux tenir vos promesses :
» Je m'épuise d'argent pour vous ».
Et l'amour-propre éveillant la colère
De ces enfants l'un de l'autre jaloux,
Ils sont près d'en venir aux coups,
Même en présence de leur mère.
— « Que faites-vous ?
Dit avec majesté la reine pacifique ;
Modérez ce courroux,
Vous briseriez mon sceptre monarchique.
Chacun de vous, à part, crée une république.
Vous accorder, serait un miracle nouveau
Que d'un fou seulement peut rêver le cerveau.
A gouverner, le monde est plus facile :
Je vois fléchir les peuples et les rois,
Et je ne puis vous soumettre à mes lois !
C'est trop m'importuner d'une plainte inutile :
Je ne veux plus décider de vos droits,
Et ce temple jamais ne sera votre asile ».

Plus d'un roi distingué parmi les souverains
Fait régner la paix sur la terre,
Tandis que de sa cour, asile des chagrins,
Il ne peut pas chasser la guerre.

Livre III, fable 6




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