Chez des Oiseaux de qualité,
Un simple Oiseau, mais vif et leste,
Plein d'amour, d'esprit, de gaîté,
Bon chanteur, et pourtant modeste,
Chaque jour était invité.
Même chez sa Majesté l'Aigle,
Chez l'Épervier et le Faucon,
Deux ministres de sa maison,
Avoir Aimable était de règle :
(Aimable était son doux surnom.)
A tous repas, à toutes fêtes,
Aimable faisait vingt conquêtes :
Il n'était fête ni repas
Quand Aimable n'en était pas.
On convenait qu'avant Aimable,
Ni le concert, ni les ballets,
Ni le cercle, ni les caquets,
Ni le théâtre, ni la table,
Ni rien enfin n'avait d'attraits.
Ce n'est pas tout ; s'il fallait croire
L'Aigle et ses deux nobles visirs,
Il vivrait un jour dans l'histoire :
Le siècle lui devait sa gloire,
Puisqu'ils lui devaient leurs plaisirs.
De quel pays était Aimable ?
C'est ce qu'on ne savait pas bien.
Le fait est que le pauvre diable
De son sort ne connaissait rien,
Sinon qu'il était misérable,
Qu'il n'avait ni parents ni bien.
Mais comment briller, comment rire
Lorsqu'on est ainsi maltraité?
Bien des gens nous le sauraient dire,
A qui le malheur même inspire
Et leurs talents et leur gaîté,
Qui n'ont pour chanter, pour écrire,
De Muse que la Pauvreté :
Horace lui devait sa lyre,
S'il nous a dit la vérité.
Comme eux, Aimable avait compté
Vaincre la misère importune,
Et par l'esprit faire fortune.
Longtemps il mit beaucoup de soins
A dissimuler ses besoins,
Ses projets et son espérance :
Il crut enfin la circonstance
Heureuse on le croirait à moins.
Un jour qu'on tenait Cour plénière,
Qu'il avait par sa voix légère,
Et par l'adresse de ses tours,
Et par le sel de ses discours,
Réussi plus qu'à l'ordinaire,
Sans périphrase et sans détours,
À la Noblesse aérienne
Il entonna sa triste antienne.
Les Grands au monde ont été mis,
Dit-il, pour aider les petits ;
Et les petits sont sur la terre
Pour les amuser et leur plaire.
Gens de votre condition,
Par cette destination,
Sont liés à gens de la nôtre :
J'ai rempli ma vocation,
Remplissez donc aussi la vôtre.
Vous le ferez, j'en suis certain.
En attendant, l'hiver s'avance ;
Et pauvre au sein de l'abondance, ་
Je n'ai fruits, ni paille, ni grain ;
Je n'ai logis ni magasin,
Point de nid, pas le moindre asyle.
M'en donner un vous est facile :
Campé sur le bord d'un grand nid,
Dans le plus petit coin d'une aire,
Aisément j'y ferai mon lit,
Sans gêner le propriétaire.
Nourrir un Oiseau si petit
Prendra peu sur sa bonne chère.
Lors, à l'abri de la misère,
L'esprit content, je chanterai,
Je sifflerai, je conterai,
Sans fin je vous amuserai,
Et vos bienfaits je bénirai.
Aimable eut mieux fait de se taire.
Froidement chacun lui sourit :
Mont et merveille on lui promit ;
Mais dès ce jour, plus de prière,
Plus de fêtes, ni de galas,
Ni de concerts, ni de repas :
Plus d'accueil, solitude entière.
Si de hasard quelqu'un dans l'air
Le voit venir, comme l'éclair
On disparaît ; point de nouvelle :
Ou le saluant à demi,
On dit de loin : bonjour, l'ami ;
Et l'on s'envole à tire-d'aile.
Le pauvre Aimable enfin périt
De faim, de froid et de dépit.
Arts, talents, esprit, don de plaire,
Son sort vous dit ce qu'il faut taire
Chez les terrestres Demi-dieux.
Voyez-les, sans en rien attendre :
C'est un parti fort bon à prendre....
J'en sais un qui vaut encor mieux.