Les Oiseaux dans leur nid Éliphas Lévi (1810 - 1875)

Les oiseaux dans leur nid couvés bien chaudement,
Et sur le fin duvet accroupis mollement,
Etaient heureux, mais ils grandirent,
La plume les couvrit, leurs ailes s'étendirent,
Voilà mes oisillons, l'un par l'autre pressés,
Tour à tour poussant et poussés,
Qui tantôt vers la gauche et tantôt vers la droite,
Débordant de leur nid l'enceinte trop étroite,
Se plaignent d'être malheureux :
Leur berceau n'est plus fait pour eux ;
Et la divine Providence
N'a point de pitié de leur souffrance.
De protéger pourtant peut-elle se lasser ?
Pourquoi l'un contre l'autre à ce point nous presser ?
Est-ce pour nous réduire à des luttes cruelles ?
Leur mère alors leur dit : Non, c'est pour vous forcer
A faire usage de vos ailes.

Tout a sa raison d'être, et tout jusqu'au trépas,
Montre du Créateur la sagesse profonde,
Car les souffrances d'ici-bas
Prouvent assez un autre monde.

Loin d'imiter les pauvres fous
Qui blasphèment et qui maudissent,
Si nous souffrons, résignons-nous,
Ce sont nos ailes qui grandissent.

Captifs dans notre infirmité,
Nous les traînons sans les comprendre ;
Mais nous les sentirons s'étendre
En tombant dans l'éternité.

Livre V, fable 6


Symbole : Croire que la douleur est un travail, le travail une lutte, la lutte un progrès, le progrès la véritable vie.

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