Une de ces rudes Chanteuses,
Que Latone créa jadis pour le tourment
Des Oreilles harmonieuses,
Était dans un vivier aux ondes poissonneuses
Entrée, on ne sait trop ni par où ni comment.
Là, seule et sans rivaux, Grenouille librement
Donnait carrière à son talent :
Et les Poissons, qui de leur vie
N'avaient rien entendu de mieux,
Peuple muet, mais curieux,
A sa façon, de mélodie,
Dès qu'elle assourdissait les échos de ces lieux,
En cercle attroupés autour d'elle,
L'applaudissaient des oreilles, des yeux :
Pour eux, des Amphions c'était le vrai modèle,
Unjour, par un nouveau hasard,
Get Amphion, avec son art,
Émigra dans les eaux d'une fontaine claire,
Qui rafraîchissait des bosquets
Dessinés autour d'un parterre,
Et formait un bassin sous leurs ombrages frais.
Rien n'en troublait le doux silence
Que les Oiseaux, qui de leurs chants
Y faisaient retentir les concerts ravissants.
Grenouille les entend, et respire d'avance
Les parfums du nouvel encens
Que lui va prodiguer si brillante audience.
Коах, Коах, elle commence.
À cet éclat inattendu,
Tout l'orchestre ailé confondu
Se tait, et dans l'instant la déroute est complète.
Chardonneret, Linot, Rossignol et Fauvette,
Enfin le champêtre Opéra,
Comme au coup de fusil déguerpit et s'envole.
Un Merle seul, chargé de porter la parole,
Tout auprès du bassin resta.
En vrai Merle, d'abord, la Grenouille il siffla,
La contrefit, la persiffla ;
Et puis, en orateur : Quel ramage est-ce là ?
Va, déplorable Cantatrice,
Va, de ton chant maudit porte ailleurs le supplice.
Retourne au fond de ton Marais,
Ou la Société lyrique,
Qui fut l'âme de ces bosquets,
Au loin fixera sa musique,
Et n'y reparaîtra jamais.
Interdite à ces mots, la pauvre Virtuose
Reste le bec ouvert, sans concevoir la cause
D'un si terrible échec. Le vivier, les roseaux,
Les Poissons, tout revient alors en sa mémoire :
Poussant un soupir vers la gloire,
Et pleurant sur son art méconnu des Oiseaux,
Elle va de chagrin crever au fond des eaux.
Ceci me fait songer à ce Bel-Esprit mince,
Qui débarque, chargé de bouquets pour Iris,
Et vient par les sifflets expier à Paris.
Tous les lauriers de sa province.
A Paris même, n'est-il pas
Des Rimeurs dont tel Cercle, ou tel Salon raffole ?
Sur un plus grand théâtre on veut placer l'Idole,
Et le Public la jette à bas.
J'en demande pardon à ma chère Patrie ;
Mais je crois voir encor, dans ce fait, le succès
Qu'auraient certains Chanteurs français
Dans un concert en Italie.