Le Cruchon de bière Fleury Flouch (19ème)

Un jour d'été, sous une tente,
Qui du soleil tempérait les ardeurs,
Vestibule mouvant d'une salle brillante,
Où des journaux, parfois menteurs,
Sur leurs tables de marbre attendent des lecteurs
Et racontent du temps la chronique vivante,
Des groupes de consommateurs,
Environnés de la vapeur légère.
Qui d'un si doux plaisir enivre les fumeurs,
Versaient à flots mousseux, dans les verres moqueurs,
La boisson nourrissante aux flamands toujours chère :
Tisane d'orge et de houblon,
Qui de bière porte le nom.
Tourmenté d'une soif qu'un ciel caniculaire
L'oblige enfin de satisfaire,
Un nouveau promeneur s'écrie : « Holà, garçon » !
(On nomme ainsi le prolétaire
Qui du public devient le serviteur).
Autant que la chaleur l'impatience altère
Et l'homme le plus doux montre alors de, l'humeur.
Notre dernier venu, que l'on fait trop attendre,
Arrête le garçon, qui court tout en sueur :
— « J'ai de la peine à me faire comprendre,
» Dit-il ; porte moi vie un cruchon ». — Oui, Monsieur.
— « Bien mousseux ! Prends-y garde » ! — Et redoublant
Le valet ambulant qui veut prouver son zèle, d'ardeur,
Répond dix fois au patron qui l'appelle ;
Va, revient au comptoir, s'empare d'un cruchon,
Et court, en l'agitant d'une étrange manière,
Pour mieux faire mousser la bière
Que déjà de l'été tourmente l'aiguillon.
A peine le tire-bouchon
À la liqueur fougueuse a-t-il donné carrière,
Que rien ne peut la retenir ;
Tout part, et le cruchon rend le dernier soupir,
Abandonnant une écume grossière.
A l'amateur qui veut se rafraîchir,
Et qui voit promener l'éponge sur la table.
L'excès en tout est condamnable,
En peine il change le plaisir.

Livre III, fable 5




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