Le Chat et la Souris Fleury Flouch (19ème)

Un chat, vivante souricière,
Un jour, dans un grenier, se promenait en roi.
C'était un grand chasseur, ma foi :
Il eût veillé la nuit entière
Pour mettre dans sa gibecière
Le plus étique souriceau.
La finesse de son museau

D'avance à l'œil faisait connaître
Qu'en odorat il était passé maître.
Il dérobait plus d'un friand morceau.
D'humeur farouche, indépendante,
Jamais la main ne le toucha.
On le voyait soigneux d'entretenir luisante
Sa robe de pacha :
Il était blanc comme une hermine.
Sa démarche annonçait un caractère altier.
Toutes les chattes du quartier
Vantaient son poil, sa bonne mine.
Notre chasseur, pour fêter ses amours,
Malgré quelques tuiles cassées,
Franchissait les toits et les cours ;
Inconstant quelquefois, mais revenant toujours
À la dame de ses pensées,
Qui le flairait d'un nez de rose et de satin,
Et pardonnait au paladin.
La jeune chatte encor novice,
Pour devenir mère et nourrice,
À la maîtresse en titre enlevait le galant
A coups de griffe, à coups de dents.
On disputait d'amour, de force et de malice.
Plus d'une chatte, en gémissant,
Au bord d'un toit tout à coup suspendue,
Faisait la cabriole et tombait dans la rue.
C'était une orgie en plein air,
Une bataille, un carillon d'enfer,
Où de démons dansait une cohue.
Retournons au grenier dont j'ai parlé plus haut,

Où sans doute mon chat va jouer quelque rôle.
Il allait donc et revenait, le drôle :
« Bien adroit, disait-il, qui me trouve en défaut ! »
Une souris, petite folle,
Qui rêvait le plaisir
D'un voyage fait à loisir,
Pour libertiner choisit l'heure
Où sa mère était au marché.
A quelques pas de sa demeure,
Elle vit qu'elle avait péché ;
C'est-à-dire que la pauvrette,
Sous une patte élastique et mollette,
Sentait les ongles du trépas,
Ou plutôt ne les sentait pas,
Tant la frayeur l'avait saisie.
Elle s'était d'abord évanouie :
L'espoir et l'amour de la vie
Raniment ses sens éperdus.
Tandis que de ses doigts velus
Raton la pince et la caresse,
Jouant comme un escamoteur
Qui s'applaudit de son adresse,
La pélerine, encor demi-morte de peur,
Profite du moment où l'ogre cajoleur
Sur le plancher la laisse libre :
Elle reprend son équilibre,
Bondit, s'élance et rentre dans son trou.
Qui fut penaud ? Notre matou.
 
En toute affaire, a dit un vieil adage,
Dans le succès n'ayons pas trop de foi ;
On perd souvent un avantage
Pour avoir trop compté sur soi.

Livre I, fable 4




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