La Botte et la Mule de chambre Fleury Flouch (19ème)

Un voyageur qu'un domestique
A l'hôtel venait d'avertir
Qu'on allait atteler la voiture publique,
Jeta par la fenêtre, avant que de partir,
Une botte percée
A l'endroit où du pied l'orteil vient s'établir ;
Avec talent dix fois rapiécée,
Et qu'on ne pouvait plus décemment rajeunir.
« A quoi me sert d'avoir eu du mérite ?
Dit, en tombant sur le pavé,
La pauvre botte décrépite.
Quel triste sort m'est réservé !
Debout, ainsi qu'une colonne,
J'ai protégé, sous un ciel pluvieux,
Le pied d'un maître impérieux ;
Et sans pitié le traître m'abandonne !
Me voilà réduite à l'aumône » !
— « Oh ! les ingrats sont un peuple nombreux,
Répondit à la botte une mule de chambre
Gisante à quelques pas, qui sentait encor l'ambre,
Pâle, défaite et dont le sort trompeur
Exilait sans retour la vieillesse importune :
Chère à l'amour comme ma sœur,
D'un pied mignon j'avais fait la fortune ;
Et ma maîtresse, avec un air mutin,

Nous a fait toutes deux voler par la croisée.
La femme ainsi que l'homme est un être malin ;
Il faut le dire, hélas ! je suis usée ».
 
C'est l'histoire du genre humain :
À la cour, à la ville,
On est abreuvé de dédain
Sitôt qu'on cesse d'être utile.

Livre III, fable 7




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