Le Tableau ancien et le Tableau moderne Le Marchant de Viéville (17?? - 18??)

D'un peintre moderne et savant,
Mais peu connu, dans une galerie,
Un tableau servait de pendant
A l'un de ceux que, soit dit en passant,
On trouve beaux par fantaisie,
Et dont la grande antiquité
Fait bien souvent tout le mérite.
« Par quelle singularité
T'a-t-on mis là comme un pendant d'élite ?
Dit ce dernier. « Vois-tu mon coloris ?
Sans cesse le nom que je porte,
Auprès de moi, fait voler tout Paris. :
Tiens, regarde ces gens s'étouffer sur la porte ;
Mais tout n'est beau que par comparaison,
Et tu me rends encor plus agréable. »
J'en conviens, vous avez raison,
Répond l'autre d'un air affable ;
Je vois pourtant beaucoup de connaisseurs,
Pour le dessin, pour l'ordonnance,
M'accorder une préférence
Sur ces tableaux hauts en couleurs. -
Un vrai savant prêtait alors l'oreille
À leur discours, et les interrompant :
-- Le mérite, dit-il, est toujours indulgent ;
Vous pérorez tous les deux à merveille :
Mais pourquoi cette dureté ?
Vous avez l'un et l'autre un genre de beauté,
Aimez-vous, je vous le conseille ?
Le coloris flatte d'abord :
Du dessin la justesse est toujours préférable,
Et vous vous disputez à tort ;
Chacun de vous est admirable. --

Un nom connu prévient et partout en impose :
Tel écrit serait admiré,
Si d'un grand nom il était décoré,
Le nom fait beaucoup à la chose.

Livre I, fable 9




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