Un trafiquant, favori de Mercure
Qui protège aussi les voleurs,
Capitaliste enrichi par l'usure,
En peu de temps quadrupla ses valeurs,
Et vint se reposer sur l'ancre du commerce,
Parmi les grands spéculateurs.
On sait de quels rêves flatteurs
Dame fortune incessamment nous berce,
Lorsqu'elle suit le cours de ses bontés.]
Les doublons, en tombant de sa corne féconde,
Entouraient mon Crésus de palais enchantés ;
Il voyait sur son front pleuvoir les dignites.
Connus de l'océan, roi qui parle dans l'onde,
Ses vaisseaux visitaient les quatre parts du monde,
Au retour du voyage, étalant à ses yeux
Des perles, des lingots, des tapis précieux.
Il n'était pas d'une humeur libérale ;
Son opulence colossale,
Au lieu d'ouvrir son cœur
À la pitié que l'on doit au malheur,
L'avait rendu plus vain, plus égoïste :
Aux tendres sentiments toujours l'orgueil résiste.
Séparé de sa femme il vivait en garçon ;
Prodigue, dans le pauvre il voyait un larron.
L'humanité lui semblait étrangère.
Déjà sûr de se satisfaire,
Son orgueil, par degrés, comme un ballon s'enfla.
N'ayant d'autre plaisir que d'entasser, l'infâme,
Au diable, comme on dit, aurait vendu son Ame
Pour se rouler dans l'or comme Caligula.
Mais, à la fin, l'inconstante fortune,
Pour lui longtemps d'accord avec Neptune,
Poussant d'un pied moqueur sa roue à rayons d'or,
De son vil protégé dispersa le trésor :
Châtiment des âmes ingrates !
Il voulut hasarder quelques projets nouveaux :
La mer et les pirates
Se partagèrent ses vaisseaux.
Inexorable en son caprice,
La fortune, en luttant contre son avarice,
Acheva d'écraser son crédit expirant.
Dès lors plus de vœu délirant :
Devant la pauvreté l'illusion s'envole.
Lui, naguère paré d'un luxe éblouissant,
Entouré de flatteurs dont il était l'idole,
Assis sur les coussins d'un char étincelant,
Demi-dieu salué par un peuple frivole,
Il marche maintenant, sans char et sans amis.
L'éclat de la santé n'arrondit plus sa joue,
Ses traits sont ridés et flétris,
Et les riches qu'emporte une orgueilleuse roue,
Font rejaillir des sarcasmes de boue
Sur les lambeaux des somptueux habits
Qui couvrent à regret ses membres amaigris.
On le voit, l'œil en pleurs, solliciter l'aumône
Des parents qu'il a méconnus.
Dur et superbe il ne plaignait personne ;
Et moins cruels que lui des cœurs se sont émus :
Il dévore le pain que la pitié lui donne,
La fange souille ses pieds nus.
Abreuvé de la coupe amère,
Il apprend à son tour à plaindre la misère ;
Son égoïsme enfin l'accable et le confond.
Il n'ose plus regarder en arrière :
Le passé lui fait peur comme un gouffre sans fond.
Le malheur est l'école où l'homme se refond.