Un écolier ne ré voit que prairies,
Fontaines, bocages, pipeaux,
Bergères, gazons et troupeaux ;
La lecture des bergeries
Avait offusqué sa raison,
Et cela de façon
Que les Eglogues de Virgile
Etaient pour lui ce qu'était l'Evangile.
Tout plein de ces objets, quoi ! dans cette prison,
Sans troupeau, sans Sylvie,
Je passerais, dit-il, le printemps de ma vie !
Non vraiment, non, mille fois non.
Pourquoi souffrir ce que j'endure ?
Ne puis-je pas me soustraire au malheur ?
Oui, je le puis et je le jure :
Fuyons aux champs ; là m'attend le bonheur.
Dans ces beaux lieux mère nature
Pourvoira seule à mes besoins ;
Du lait, du miel, des fruits dans tous les coins.
Quelle excellente nourriture !
Une caverne, une grotte, un buisson
Tour-à-tour seront mon asile ;
Là, mollement couché sur le gazon,
Je passerai les nuits dans un sommeil tranquille,
Sans avoir besoin de maison
Où la saison des fleurs est la seule saison.
A mon réveil, Dieux ! quel plaisir d'entendre
Les cornemuses, les pipeaux,
Faisant retentir les coteaux !
De voir bondir sur l'herbe tendre
Les brebis avec leurs agneaux !...
O ciel, qui pourrait entreprendre
De compter les petits oiseaux
Dont sont couverts ces arbrisseaux !
Voyons si je puis les surprendre...
A qui destinera Léandre
Ce nid de jolis tourtereaux ?
Ce sera pour Eglé, l'honneur de nos hameaux...r
Plus loin, Lycidas et Sylvandre,
Assis à l'ombre, unissent leurs accents,
Et chantent à l'envi leurs amours innocents...
Une guirlande en main j'aperçois Sylvandre :
Pour qui sera ce présent si flatteur ?
Heureux berger, heureux Tytire,
C'est là le prix de ton ardeur !...
La tête enfin lui tourne ; il s'enfuit du collège,
Le voilà déjà dans les bois,
Errant de tous côtés, n'ayant pour tout cortège
Que sa houlette et son hautbois.
Bientôt il trouve un rustre, et lui dit de la sorte :
Apprenez-moi, Lycas, à qui sont ces troupeaux,
Qu'on voit errer sans guide au bord de ces ruisseaux ?
Par tous les diables, que t'importe ?
Repart Pierrot : il ne répondit pas
Comme aurait répondu Lycas.
Ce début le surprend ; il le fut davantage,
Lorsque, renfrognant, son visage,
Pierrot lui montre le gourdin
Que pour houlette il avait à la main
Tremblant, hors de lui-même,
Ne sachant trop s'il dort,
II fuit à demi-mort,
Et marchait sans dessein dans sa douleur extrême...
II aperçoit la femme de Pierrot
Qui ramassait des glands ; oubliant aussitôt
Son aventure, il s'approche : infidèle,
Il n'est donc que trop vrai que tu manques de foi ?
Répond : ces fleurs, les cueillais-tu pour moi ?
Pourquoi te troubles-tu ? Va, parjure, cruelle.
Porte-les à Tircis !.... la femme de Pierrot
Poursuit sans lui répondre un mot.
Il reste stupéfait... Sortant de son délire,;
Dans l'amertume de son cœur,
Il reconnait à la fin son erreur,
Et retourne au collège honteux et sans mot dire.
N'imitons point cet étourdi
En prodiguant notre croyance ;
Rien de tel que l'expérience,
On ne voit jamais bien avec les yeux d'autrui.
Les vers en italique sont de Gresset