Le Mouton et la Chèvre François Richard-Baudin (1810 - 1870)

Sa majesté Lion, prince assez débonnaire,
Voulut, ainsi le conte un chroniqueur sincère,
Donner à ses sujets un brin de liberté.
Cela s'accorde-t-il avec la royauté ?
L'un dit oui, l'autre non ce n'est pas mon affaire.
Des esprits plus profonds que moi
Ont écrit là-dessus des livres qu'on peut lire.
Je ne suis ni Lion, ni conseiller du roi :
Ma femme et quatre enfants, voilà tout mon empire,
Et si j'y règne, au moins je n'y gouverne pas.
Donc le Lion voulut à ses vastes états
Octroyer, c'est le mot, une charte modèle.
Elle fut annoncée avec un grand fracas ;
Dans le premier moment on la trouva fort belle ;
Chacun se récriait : les Moutons enchantés
Se promettaient surtout mille félicités.
<< Enfin, disait l'un deux, un gouvernement sage
Va faire prospérer et les champs et les bois ;
Plus de maître, plus de servage,
Non, rien qu'un peuple libre et le sceptre des lois.
Adieu, le bon plaisir et la grifse royale !
Voici le parlement qui saura protéger
Les droits, les intérêts de la gent animale,
Et si le prince y touche, on saura se venger ! »
Une Chèvre déjà sur l'âge,
Seule ne goûtait pas ce beau raisonnement :
« Tu te réjouis trop de ce grand changement,
Mouton, mon bel ami ; tout cela te présage
Un siècle plus heureux, et peut-être as -tu tort !
Va, nous aurons toujours le règne du plus fort,
Dans notre chambre héréditaire
Qui verrons- nous siéger ? le Tigre, la Panthère,
L'Ours, le Rhinocéros avec le Léopard.
- Leurs ongles sont rognés. — Moi j'ai lu quelque part
Qu'ils peuvent repousser, et cela me fait craindre
Que le peuple mouton n'ait toujours à se plaindre.
Oui mais nos députés, c'est nous qui les nommons !
Comme ils votent l'impôt, ils mettront au régime
Les appétits par trop gloutons ;
Ils se révolteraient, c'est parfois légitime.
Dans leurs rangs, on le sait, dominent les Moutons,
Et l'on y voit quelques Dindons.
-Tant pis, reprit la Chèvre en secouant la tête ;
Le Mouton a trop peur ; le Dindon est trop bête ! »





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