La Chèvre et les Moutons Antoine Le Bailly (1756 - 1832)

Sur la cime d'un mont pendant en précipice
Barbe la Chèvre un jour voulut monter,
Non par fanfaronnade ou par un vain caprice,
Mais bien à dessein d'y brouter.
La route en était peu battue,
L'abord tout hérissé de ronces, de buissons.
C'est là que Barbe s'évertue :
Sentiers scabreux, ravins profonds,
Rien ne l'arrête ; elle saute, elle grimpe,
Et fait si bien qu'après cent et cent bonds,
Tranquille, elle respire au haut de cet Olympe.
-Combien l'air est pur en ces lieux !
Quel doux parfum ! s'écria-t-elle. —
Colomb ne fut pas plus joyeux
Lorsqu'il eut découvert une terre nouvelle.
Là tout se rencontre à souhait ;
Herbe tendre et fin serpolet :
Or vous jugez comme elle broute.
Un troupeau de Moutons apercevant d'en bas
La dame au pied fourchu qui prenait ses ébats,
Veut se frayer la même route.
-Chers compagnons, suivez mes pas,
Dit l'un des chefs de la bande timide ;
C'est moi qui servirai de guide.
-Soit, répond le plus jeune agneau. ---
Et ce mot entraîna le reste du troupeau.
Déjà de tous côtés on monte à l'escalade.
La Chèvre s'avance vers eux,
Leur tend sa patte blanche : -Amis, point d'incartade ;
Approchez.... par ici.... Que faites-vous, ô dieux !
Prenez sur la droite, vous dis-je....
Quel entêtement !... quel vertige !
Vous trouverez à gauche un précipice affreux.....
De ses conseils on ne tient aucun compte :
De l'aide à nous ! si donc ! ce serait une honte.
Nous sommes lestes, Dieu merci !'
Et nous monterons seuls aussi.
Eux soudain de grimper, de faire la culbute ;
Puis de grimper encor ; puis de tomber toujours.
Robin, le seul Robin, effrayé de leur chute,
Sent qu'il a besoin de secours ;
Il fait donc un signe de tête
À la Chèvre : aussitôt l'officieuse bête
Accourt, guide sa marche à travers les détours ;
Bref, aplanit partout l'obstacle qui l'arrête.
Après avoir franchi mille pas périlleux,
Voilà Robin qui touche au terme du voyage.
Il bondit au sommet du rocher sourcilleux,
D'où regardant alors l'inférieure plage,
Il voit ses compagnons essoufflés, haletants,
Et tout-à-coup dégringolants,
Dupes de leur orgueil, descendre au noir rivage.

Malheur au talent jeune encor,
Lorsqu'il ne prend conseil que de sa seule audace !
Mais qu'une habile main dirige son essor,
Il est plus sûr d'atteindre au sommet du Parnasse.

Livre VIII, fable 15




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