Le Loup et le Chevreau Jean-Louis-Marie Guillemeau (1766 - 1852)

Allant au loin chercher pâture.
Une chèvre au logis laissa son jeune enfant ;
Mais redoutant, pour lui, quelque mésaventure,
Après avoir aux dieux remis sa géniture,
Elle y joignit encor cet avis important :
« Crains, lui dit-elle, et sois toujours en garde
Contre les pièges des méchants ;
Le repentir poursuit celui qui se hasarde,
Et la défiance, à mon sens,
Est utile aux honnêtes gens.
Mais pour mieux te faire connaître
Le loup, ce méchant, ce voleur,
Ce scélérat qui répand la terreur
Chaque fois qu'on le voit paraître,
Je vais, en peu de mots, te tracer son portrait :
Ses yeux sont enflammés, ses dents sont menaçantes,
Son regard fait frémir, ses lèvres sont saignantes,
Et, pour le peindre d'un seul trait -
Nous avons plus que lui des barbes ondoyantes.
Mais, pour te préserver tout-à-fait de ses coups,
Je te défends d'ouvrir à gens de toute sorte,
Et, si l'on ne te dit, en frappant à la porte :
Les dieux perdent les loups. »
Sur le sort de son fils, la chèvre plus tranquille,
Prit alors le chemin du bois,
Non pas sans regarder, en quittant son asile,
Derrière elle plus d'une fois.
A peine elle atteignait le bord de la bruyère,
Que le loup, comme on dit, parut subitement ;
Dans un coin retiré, caché furtivement,
Il avait entendu, de cette tendre mère,
Le très sage avertissement.
Marchant d'un pas léger, doucement il s'approche ;
Puis imitant le maternel accent,
Il lui dit mon fils, ne crains aucun reproche ;
Ouvre-moi vite, et sur-le-champ.....
Pourquoi tardes-tu donc ? Dis-moi, qui peut suspendre
Et retenir tes pas dans ce moment heureux ?
Ah ! je vois bien ce que tu veux : ·
Les dieux perdent les loups ; ne me fais plus attendre...
Ayant donné ce mot du guet,
Il parcourut la porte, espérant s'introduire :
Mais le jeune chevreau, soupçonnant son projet,
Très-finement s'empressa de lui dire :
« Avant qu'en ce logis vous reçoive biquet,
Faites-lui voir votre barbe, beau sire. »
Le loup, terrassé par ces mots,
Et trompé dans son espérance,
Grinça des dents, tourna le dos,
Et s'enfuit..... oubliant même la révérence.

Le dupeur est parfois dupé,
Bien qu'il fasse le bon apôtre :
Et tel qui croit attraper l'autre,
Est souvent le seul attrapé.

Livre IV, fable 1




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