Le Poignard et le Couteau de cuisine Gabriel-T. Sabatier (19ème)

Un poignard tout damasquiné,
Dans un fourreau d’argent, œuvre de ciselure,
Par hasard fut abandonné
Sur la table à manger d’une pauvre masure;
Il fut très-étonné de se voir en ces lieux
Tout près d’un couteau de cuisine ;
Et prenant une fière mine
Parla sur ce ton dédaigneux :
« Vil instrument de valetaille,
Misérable petit couteau,
Admire mon brillant fourreau
Et poignée à fine taille,
D’être si près de moi lu devrais bien rougir ! »
L’autre à l’instant sut répartir:
« A quoi servez-vous dans ce monde?
Vous ne manquez de faconde,
Mais ceci n’est pas un état ! »
« Vraiment! lui.répondit le fat,
On te fait travailler? moi je n’ai rien à faire,
Je suis noble, mais toi, tu n’es qu’un vil goujat
Fait pour croupir dans la misère ! »
« Eh ! pourquoi tant de vanité?
Lui répondit le pauvre hère :
Si vous n’êtes ainsi d’aucune utilité,
Pourquoi me mépriser? je sers à la fermière
Ainsi je vous vaux mille fois ! »

Parmi nous on voit même chose ;
Tel riche désœuvrée fait son apothéose
Qui ne vaut certes pas un pauvre villageois.

Livre II, Fable 5, 1856




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