Chacun est attentif à se prêter des grâces,
On a sans cesse sous les yeux
Des trumaux, des miroirs, des glaces,
Mais on ne s'en connaît pas mieux..
Tant pis ; que faut il que j'y fasse ?
Irai- je encore moraliser ?
Qui moralise, ennuie et lasse,
Essayons plutôt d'amuser.
Un Fabuliste moralise
Me dira-t-on, oui, mais il n'effarouche pas ;
L'ingénuité, la franchise
Dont il se sert ont encor des appas ;
Ainsi je vais tâcher de donner ce mérite
À la Fable qui fuit. Un jour une Truite
D'un ton suffisant et hautain,
Apostrophait Dame Ecrevisse,
Et lui disait, tu vas d'un plaisant train ?
Si dans ta route il est un précipice,
Comment prétends-tu l'éviter ?
A chaque pas tu te hasardes :
Les hommes font méchants, il faut les redouter,
Et l'on ne peut contre eux être trop sur ses gardes ;
Ne marche plus à reculons,
Par ce moyen tu pourras te soustraire
Aux pièges qu'on te tend. L'avis est salutaire,
Dit l'Ecrevisse, et tes Leçons,
Si l'or les fuit avec exactitude
Seront de grande utilité,
La Truite à ces mots, avec agilité,
Glorieuse d'avoir en prude
Dogmatise sur un point important,
S'élance au fil de l'eau, remonte le courant,
Et frétillant la queue à nager la surpasse ;
Mais malgré tout son jugement
S'en fut donner dans une Nasse.