Le Pigeon mignon et le Ramier Jean-Auguste Boyer-Nioche (19è siècle)

A force d'être heureux quelquefois on s'ennuie.
Un gros pigeon mignon, nourri de pur froment,
Emplumé sybarite, un jour quitta la fuie ;
Ce beau monsieur voulait prendre l'air un moment ;
Auprès d'un ramier il s'appuie.
Depuis trois mois entiers, presque sans aliment,
L'habitant des forêts, accablé de souffrance,
De la faim et du froid combattait le tourment,
Et traînait dans les champs sa pénible existence.
L'Aurore cependant humectait de ses pleurs
Quelques fleurs ;
Empressés de les voir éclore,
Les zéphyrs accouraient sur les traces de Flore,
Et du pauvre ramier allégeaient les malheurs.
Tu me parais bien misérable,
Dit le pigeon mignon. Dès ce soir, si tu veux,
Tu peux faire cesser ton destin rigoureux ;
Prends ton vol, et suis-moi jusqu'à cette tourelle.
C'est l'heure du souper ; rien ne t'y manquera.
Mais ne voudra-t-on point me rogner un peu l'aile ?
Et de ma liberté qui donc me répondra ?
Ta liberté! ce n'est que bagatelle.
Ah ! je sens que mon cœur battra toujours pour elle.
Bon ; pourtant l'hiver reviendra,
Et la misère est là. La misère ! on la brave :
Qui ne sait être pauvre est né pour être esclave.

Livre IV, fable 16




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