On raconte qu'un jour, en son modeste asile,
Un pauvre rat des champs reçut un rat de ville ;
C'étaient deux vieux amis. Ménageant sou avoir,
Le rat des champs pourtant s'arrangeait de manière
A bien traiter toujours ceux qui venaient le voir.
L'avaine et le pois chiche étaient son ordinaire.
A son camarade,, au contraire,
Il s'empresse de faire part
De ses bons raisins secs et des tranches de lard
A qui déjà sa dent avait fait mainte entaille.
Il variait les mets pour vaincre le dédain
Qu'affectait en mangeant l'opulent citadin,
Quand lui, maître du lieu, sur quelques brins de paille,
Gruge, à l'écart,
Un peu d'ivraie en bon vieux campagnard,
Laissant la bonne chère à notre sybarite
Qui lui parle en ces mots : Je voudrais bien savoir
Comment tu peux te plaire à vivre en pareil gîte,
Sur un rocher désert ? Tu devrais pourtant voir
Que l'homme a fui les bois pour habiter la ville.
Eh bien ! suis donc mes pas ; viens partager mon sort :
Et, puisque rien ne peut nous soustraire à la mort,
Puisque grands et petits -, tout y passe à la file,
Crois-moi, soyons heureux, tandis qu'il en est temps :
Employons bien tous les instans
D'une vie
Qu'à toute heure menace une parque ennemie.
Par un pareil discours le rat des champs séduit,
S'élance avec transport et quitte son réduit.
Ils se mettent en route, et garaient font voyage.
C'était durant l'obscurité
Que ces messieurs voulaient se livrer un passage
Sous les remparts de la cité.
Faisant glisser son char sur la voûte azurée,
La nuit, du haut des cieux, regagnait l'horizon,
Quand nos deux rats font leur entrée
Dans une superbe maison,
Où la pourpre avec l'or, couvrant des lits d'ivoire,
Du pauvre campagnard vint éblouir les yeux ;
Où, chose pour lui plus notoire,
Tous les restes délicieux
Du splendide souper qu'on avait fait la veille,
Pêle-mêle emplissaient mainte et mainte corbeille.
Sur la pourpre aussitôt le seigneur de céans,
Ayant fait, avant tout, asseoir le rat des champs,
Semble un maître d'hôtel à robe retroussée ;
Il va, vient et revient ; vingt fois, en un instant,
Par lui la salle est traversée ;
Un mets n'attend pas l'autre, et notez-bien, pourtant,
Qu'en rat courtois, il n'en convie
Son heureux commensal qu'après l'avoir goûté.
Le campagnard, l'âme ravie,
De son bon camarade excite la gaîté.
Mais, avec un bruit formidable,
S'ouvre la porte à deux battans :
La peur leur fait abandonner la table,
Et par la salle ils trottent tout tremblans.
Chacun d'eux, en un coin, de plus en plus frissonne.
Hélas ! ce n'était rien encor :
De la voix des mâtins tout le logis résonne.
Loin de moi, dit le rustre, et ta pourpre et ton or :
Vis, si tu veux, avec les riches ;
De te suivre j'étais bien fou !
Adieu, la paix est dans mon trou ;
Je vais m'y consoler en mangeant mes pois chiches.

Livre IV, fable 7


Traduite d'Horace, satire vi, livre iii

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