Les deux Rats Gilles Corrozet (1510 - 1568)

En pauvreté seureté.

Voluntiers la richesse
Porte avec soy tristesse,
Mais seure pauvreté
Porte joyeuseté.


Ung Rat de ville eut volunté d’aller
S’esbatre aux champs pour ung peu prendre l’aer ;
Ung Rat des champs trouva dans une plaine
Qui le semond, et puis chez soy le maine
El luy donna de sy peu qu’il avoit
Petit bancquet comme faire sçavoit.
Le Rat de ville, en voyant l’ordonnance,
Pauvreté blasme, et louë l’abondance,
Et, pour monstrer son bien et son estat,
Dedans la ville il amena ce Rat.
Quand ilz sont là, le riche Rat ordonne
Ung beau bancquet, et pour manger luy donne
Pain, lard et chair. Mais, cependant, survint
Dans le celier ung bouteiller qui vint
Tirer du vin ; lors s’allerent cacher
En laissant là leur viande et leur chair,
En grande peur. Puis homme retourna.
Le Rat de ville aprés ne séjourna ;
Mais de manger à l’aultre feit envie.
Dict l’invité : « Ma sobre et pauvre vie
Est bien plus seure et stable que la tienne,
Combien que bons repas elle contienne :
Ce que je mange icy me semble fiel ;
Pauvres morceaulx aux champs me semblent miel. »
Sobre repas en seureté sans faincte
Vault beaucoup mieulx que grand bancquet en crainte.
Fable 09


Titre original : Les deux Ratz

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