L'Homme du monde et le Solitaire Jean-François Haumont (17** - 18**)

L'Homme du monde, au solitaire
Disait peut-on ainsi passer tant de beaux jours !
La solitude a-t-elle pu vous plaire ?
Moi, j'y renonce pour toujours ;
Mais la société, doux charme de la vie,
Fait le bonheur de l'homme, et partout le convie.
La parole, ce don, ce présent merveilleux,
Ce langage qu'il tient des dieux,
Fait pour transmettre la pensée,
L'esprit, la raison éclairée ;
Tant d'avantages précieux
Seraient nuls dans la solitude.
L'homme sensé doit faire son étude
De plaire à ses pareils, dans le commerce heureux
Du monde et des plaisirs ; c'est le bonheur suprême,
De la houlette au diadème.
Le solitaire répondit :
Autrefois j'ai connu le monde ;
Je sais l'apprécier : l'homme par- tout abonde
En superbes propos ; si l'on croit ce qu'il dit,
Il est franc, généreux, bienfaisant, époux tendre,
Bon père, ami discret, complaisant ; à l'entendre,
Il connaît les vertus et sait les pratiquer ;
Jamais à ses devoirs on ne le vit manquer :
Mais las ! un peu d'expérience
Nous démontre sa fausseté.
Du monde la science
Mettant au jour la vérité,
Fait connaître un tableau d'espèce différente.
Les cercles offrent-ils quelques individus
Suivant encor le sentier des vertus ?
Sitôt des persifleurs l'ironie assommante,
Le mauvais ton, les perfides bons mots,
Tous les impertinents propos,
Livrent aux sages une guerre indécente.
Pour le soustraire aux alentours
Du vice, et des méchants qui le suivent toujours,
La retraite est un port tranquille.
Séjour fortuné ! doux asyle !
C'est-là que', loin des envieux,
L'homme est parfaitement heureux.
Le sage doit éviter tout extrême ;
Se dérober au tourbillon
Du grand monde, sans passion ;
Ne jamais trop se livrer à soi -même.
Toujours seul, tient un peu de la sévérité :
Peu d'amis, mais du choix dans la société.

Livre III, Fable 3




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