Le Chien et la Brebis Jean-François Haumont (17** - 18**)

Dans une bergerie, un chien nommé Roquet,
Alla trouver, un jour, la brebis complaisante :
(C'était son nom), lui dit, un rhume me tourmente,
Daignez pour moi, faire le guet.
Le guet ? dit la brebis, ce n'est pas mon usage :
J'ai souvent peur, et c'est un grand défaut ;
Cependant, puisqu'il le faut,
Je vais m'armer de courage.
Cette nuit-là, fort à propos,
Le loup ne troubla point, du bercail, le repos.
Le lendemain, d'un air d'hypocrisie,
Le chien dit à sa bonne amie :
J'ai bien dormi, je suis joyeux,
Et mon rhume va beaucoup mieux :
Mais pour achever votre cure,
De grâce ! je vous en conjure !
Accordez un autre bienfait :
Laissez-moi tetter votre lait.
— Mon lait ? Vous parlez à votre aise :
Apprenez y ne vous déplaise,
Que j'ai deux petits à nourrir ;
Tout ce que je peux vous offrir,
C'est de partager la pitance
De mes agneaux, qui sont dans la plus tendre enfance.
Roquet n'ayant que du pain bis,
Savourait, à longs traits, le lait de la brebis.
Les agneaux pleuraient sans se plaindre :
Ils étaient encore à jeun,
Maudissant, tout-bas, l'importun,
Qui savait se faire craindre.
Bref, il en prit tant qu'il voulut ;
Il tarit, ou peu s'en fallut,
Le doux nectar de sa voisine ;
Et lui dît : vous êtes divine,
De satisfaire mes souhaits.
Mettez le comble à vos bienfaits :
J'aurais besoin de votre laine,
Pour me faire un habit fourré ;
Alors, étant ainsi paré,
Je braverai la froide haleine,
Et les frimats de l'aquilon…
Mais, vous agissez sans façon,
Répondit la brebis ; vous donner ma fourrure ?
Non, mon cher ami, je vous jure :
J'ai fait pour vous toute la nuit le guet ;
De plus, vous avez bu mon lait,
Et vous voulez encor ma laine ?
Cherchez ailleurs habit qui vous convienne.

Faites du bien à l'indiscret,
Il en abusera comme le chien Roquet.

Livre I, Fable 2




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