J’ai parcouru la terre entière.
Partout le pauvre genre humain
De rire m’a fourni matière.
Vouloir le rendre sage est un projet bien vain :
Il aime ses défauts, préconise ses vices,
Les érige en vertus, au gré de ses caprices,
Et, tour à tour ridicule ou méchant,
Est à mes yeux un éternel enfant
Qu’on ne peut laisser sans lisière.
Une aventure singulière
Que je m’en vais vous raconter
Vous prouvera ce point avec pleine lumière.
Dans un village, un jour, forcé de m’arrêter,
(Il n’importe pour quelle affaire)
J’observai que chaque habitant
Bégayait s’il parlait, et boitait en marchant.
La chose me parut nouvelle.
Droit sur mes pieds, sans craindre de querelle.
Près de ces villageois je crus me faire honneur
En prenant un maintien qui corrigeât le leur.
De mon mieux donc j’étalai ma tournure ;
Vestris pour son élève aurait pu m’avouer,
Tant je mettais d’aisance à régler mon allure ;
Mais, loin de m’entendre louer,
Je vois tous mes boiteux qui se prennent à rire.
Moi tout aussitôt de leur dire :
« Ne riez pas. Messieurs, je marche comme il faut;
De clocher, comme vous, je n’ai pas )e défaut.
Imitez-moi, vous ne sauriez mieux faire. »
Ce fut bien pis quand on m’ouït parler.
L’hilarité fit place à la colère ;
Par mille traits je me vis accabler.
L’insolent ! A la porte ! A bas le téméraire!
Sont les mots du dictionnaire
Que ces bègues savaient le mieux articuler.
De bouche en bouche ils les font circuler.
Pour me convaincre à leur manière
Ils firent tant par leurs clameurs, leurs cris.
Qu’enfin je fus contraint de vider le pays.
Je tire de ce fait celte maxime vraie;
Quiconque sans repos ne saurait vivre heureux
Doit au milieu des fous extravaguer comme eux.
Bégayer avec qui bégaye,
Et clocher avec les boiteux.