L'Ajace embobelinée dans dés pium de pahon Jean-Henri Burgaud des Marets (1806 - 1873)

EN PATOIS

L'an dârié, dan Luchat, in paure vieux pahon
(Peursoune a poyut m' dir' son nom)
Avait, boun'gen ! morut de raque.
Dessus son feurmogeau sa borgeoèse le saque.
Lés cheune et lés cheûn de l'endret
Se fiyan poin feussé peur y cauri tout dret.

In chaquin sait que dan tié race
Lés gormand poussan de Guieu grace.
Mais qu'i ne fussian pas, n'en seû sûr, huguenot,
Et qu'o fusse tieû jor in s'madi de careime,
Lés bigre croquiyan noût' pahon tout de meime
Et s'en lichiyan b' lés balot.
O n'en restit, diâbe me gale,
Reinsé que la coue et lés ale.
I n'avian fiche poin encoére bouffé prouc :
Peur ç' qu'é de se pigné, se pigniyan leû souc.
Brev' in grande coè d'ajace ,
Qui trotiyait sous la châgnace,
Quant i fuyan partit , avisit sus le tail
Lés piume dau pahon teurleusan au soulail.
Dam ! a rouillit dés euil, agare,
Duvrit ine grand' goule et soûtit daredare !
A dissit stelle qu'a dit :
« N'at reun d' pu bià que mon ramage
" Ah- ah - ah!.. Peur que tout sége hein assortit,
« Faut que je prenge tieû piumage.

A s'arrache la coue et peux, sans barguigné,
A vat tout drét à n'in guinié,
Et conte in groû mourciâ de marde de cigale
Frougne son chouchignon, son carot et sés ale .
A zy colle, ma fi ! lés piume dau pahon,
Dés ine en large et d'aute en long :
A vous tend le cagouet keum' fait in pourteur d'hote
Et vat, en enfian la charmote,
Peur le pourtiâ qu'était duvar,
Au mitan dés pahon qui n'avian, saquelotte !
Jamais rein vut de pu divar.

Noûte ajace fut bein capote ,
Car i riyan leû souc et (faut zou dire bas)
S’i ne tombiyan poin de l’eive en leu tiulote ,
' L ét-à caus' qu'i n'en pourtian pas.
In de tiellés pahon ('l était ine pahoune)
Enroupagée et pas trot boune ,
Veurlutit noûte ajace et qu'a se gênit poin :
A la peignit beu dau bon coin.
É-t-ou que tie pahoune avait d'la jalousie ?
Més bons amit, apparanman.
Je créyis qu'o y avait que lés chrétien tansman
Qui trompissian leù maleisie.
Peut beun que lés paḥon fazan coum' je fazon .
N'é poin la montre, agar' , que j'ayon bein razon.

Noûte ajace toute fagnouse,
Sans ale, borgle et bignotouse,
S'en fut se piainde aux ajaçon
Dés environ .
Lés bons apôte
Riyan à s'en tenî lés côte.
Qu'é-t-ou qu'ol é que tieûl osiâ ?
Qu'i dissiyan, n'é pas trot biâ.
Ine vièye luchit : Disez-me donc, mignoune,
Eit' - vous keume le chat eulé ?
Noûte ajace peuvait asseman pas volé
Ni parlé.
Ente lés dents, boun'gen ! sais pas ce qu'a meloune ;
Mais nos bigre de cheûn peur là repassiyan
Et peur leû marandon i te la croquiyan.
Lés peisan valan bein lés feurluquet dés ville.
Le toun❜lié qu'e'-t-houneite é prince en seun état ;
O me déteste poin, quand in houme babille
Peur rein dire, peurvu qu'o sége in avocat.
Chaquin a son métier : chaquin a sa frimousse.
Le cheun jape, la poule crousse ;
Nos soudâr veurlutan l'anemit sans façon.
Faut nous montré coume je son.
Le bon Guieu nous fasse la grace
De poin imité tielle ajace.


TRADUCTION

L'an dernier, à Luchac, un pauvre vieux paon
(Personne n'a pu me dire son nom)
Était, hélas ! mort de langueur.
Sur sonfumier sa maitresse jette... Les chiennes et les chiens du lieu
Ne se firent point fouetter pour y accourir tout droit.

On sait que dans cette race
Les gourmands naissent naturellement.
Bien qu'ils ne fussent pas, j'en suis sur, protestants,
Et que ce fut ce jour-là un samedi de carême,
Les bigres croquèrent notre paon néanmoins,
Et s'en léchèrent bien les lèvres.
Il n'en resta, le diable me bálonne,
Rien que la queue et les ailes.
Ils n'avaient pourtant pas encore assez mangé.
Pour se battre, ils se battirent leur content.
Bref, une grande bête de pie
Qui trottinait sous les chênes,
Quand ils furent partis, avisa sur la place
Les plumes du paon reluisant au soleil.
Dame ! elle regarda avec de gros yeux, vraiment,
Ouvrit un grand bec et sauta avec rapidité.
Elle dit, dit- elle, qu'elle dit :

Il n'y a rien de plus beau que mon ramage
Ah! -ah! ah! 1. Pour que tout soit assorti,
« Il faut que je m'affuble de ces plumes. »
Elle s'arrache la queue et puis, sans hésiter,
Elle va droit à un cerisier,
Et contre un gros morceau de gomme
Elle sefrotte le derrière, sa tête pelée et ses ailes.
Elle y colle, mafoi, les plumes du paon,
Les unes en large , les autres en long.
Elle vous tend le cou comme un porteur de hotte,
Et va en enflant le dos,
Par la porte qui était ouverte,
Au milieu des paons, qui n'avaient , sapristi !
Jamais rien vu de plus réjouissant.

Notre pie fut bien un peu étonnée.
Car ils rirent leur soul, et (il faut le dire tout bas),
S'ils ne pissèrent pas dans leurs culottes,
C'est parce qu'ils n'en portaient point.
Un de ces paons (c'était une paonne),
Rouge de colère et pas bonne,
Roula par terre notre pie , sans se gêner.
Elle la battit du bon coin.
Est-ce que celte paonne avait de la jalousie ?
Mes bons amis, il y a apparence.
Je croyais qu'il n'y avaitque les hommes
Qui trompassent leurs femmes.
Il est bien possible que les paons fassent comme nous.
Ce n'est point la preuve, vraiment, que nous ayons raison.
Notre pie, toute pleine de boue,
Sans ailes, borgne, boiteuse,
Fut se plaindre aux pies
Des environs.
Les bonnes apótres
Rirent à s'en tenir les côtes.
« Qu'est-ce que c'est que cet oiseau?
« Dirent-elles : il n'est pas tropjoli. »
Une vieille lui cria : « Dites-moi donc, mignonne,
Êtes- vous comme le chat huilé ?
Notre pie ne pouvait seulement pas voler,
Ni parler.
Entre les dents, o pitié! je ne sais pas ce qu'elle murmure :
Mais nos bigres de chiens par là repassèrent,
Et, pour leur collation, la croquèrent.
Lespaysans valent bien les élégants des villes ;
Le tonnelier honnête est un prince en son métier.
Ça ne me choque point d'entendre un homme parler
Pour ne rien dire, pourvu que ce soit un avocat.
A chacun sa profession, à chacun sa figure.
Le chien aboie, la poule glousse,
Nos soldats battent l'ennemi sansfaçon.
Il faut nous montrer ce que nous sommes.
Dieu nous fasse la grâce
De ne point imiter cette pie.





Commentaires