EN PATOIS
Feu défin mon tonton, qu'é bazit bounegens !
M'a bein açartainé, que dan son jenne temps,
Si son champ li bayait dau garouil peurmeloge,
Follait poin qu'i se dige : « Ont faura-t-ou q'jeu l'loge ?
Sitou qu'i murzissait, in r'nar de Montagan
Li copait sés fusée, à fur qu'a jaunzissian.
Noute animau vendait dés mique au ganipote :
Lés devin le pourtian châ neut à leû charmote.
In matin qu'o brumait , tieû bigre de renar
Priit ine cigougne à venî tué le var :
I li fit dés courgnon dedan sa grand' choudroune,
Avec in pistolet lés seucrit, peux, sti : « Boune,
<< Ikit peuvon-ji pas nous assir à cupiat ?
I tirit sés courgnon haut d'in det en châ piat.
L'osiâ tapit, tapit keume in pivar qui cougne
Conte in châgne, et va voèr s'il a peurcé la gougne.
Le renar lichit tout , et li j'tan in courdeau,
Vlà, sti qu'i dit, de quoé te sarré lés boyau.
Qui bisquit ? la cigougne. Alle en breumait de rage.
Mais a ne dissit reun , agare, et qu'a fut sage !
Au bout d'in moè, ' l était in jor de Saint-Martin,
A priit tieû renar peur feire in grand fastin.
Le finau pensit poin qu'o fusse queuque atrape :
I prennit sés miton peur pas qu'i seuge grape,
In pair de canusson négre et to fiamban neût,
Son chapiâ dés dimanche, et sés solié de Beu.
I guilit cheû l'osiâ : li tapan sus la b'deine,
To mon kieur, sti, maîtresse, ascusez la miteine.
Qu'o sent à bon sassus... oh je breume la faim, ...
Venan-t-i tout comptan to lés gens dau festin ?
Fait poin ! dième dés grèle ! .. ah ! v'là donc nout'peurote,
Et nout amit le jar... et le cannet ! .. pot' pote !
La cigougne oussitou dan cinq gorde apourtit
Mijot , cayé, grillon , courgnon et gigourit.
Ol arait follu voèr jaunezï nout' compére.
Oh ! dissit la cigougne : és-tu chétit, mon frère ?
Qu'a-t-ou dans ton bezot , meun amit , des âchet ?
Ta, ta , v’la d'la sansnique au fond de tieû pichet .
« Cannet , aïde-li jar fazez-le donc boère. >>
Noute renar, caunit keume in cheun, saillit d'foère,
Et qu'i n'aspérit poin qu'i duvrissian la kli,
Pas pù qu'i s'atarzit peur retauné cheù li.
I se j'tit tout capot sus in pilot de paye.
Et poin fier qu'il était. Cont' son vente i boudit ;
Mais cent foé dan la neut en li meime i dissit.
« Qu'é qu'o sart d'eite r'nar pr'eit' pincé keume in knaye ? »
Avez- vous queneuçut tiellés gens de Jarnat
Qu’avé leu p’tits étiu ne feiran poin leu chat .
Peux pas aconcevoér leû mode sans paréye
De saqué la moutarde au fin fond d'in' boutèye.
Ol é, je zou cré beun, à ceul fin que le r'nar
I peuge pas coté, quant i veut tué le var.
TRADUCTION
Feu défunt mon oncle, qui est mort, hélas !
M'a bien affirmé que dans son jeune temps ,
Si son champ lui produisait du maïs précoce,
Il n'avait point besoin de se dire : Où vais -je le serrer ?
Dès qu'il murissait, un renard de Montagan
Lui coupait les tiges à peine jaunies.
Notre animal vendait des galettes de maïs aux ganipotes ;
Les sorciers le portaient chaque nuit sur leur dos.
Un matin de brouillard, ce bigre de renard
Invita une cigogne à venir déjeuner.
Il lui fit de la bouillie dans son grand chaudron,
La sucra avec un pistolet, puis dit : « Bonne,
« Ici ne pouvons- nous pas nous asseoir à terre ? »
Il tira sa bouillie, haut d'un doigt en chaque plat.
L'oiseau cogna, cogna comme un pivert
Qui frappe un chêne et va voir s'il l'a transpercé.
Le renard mangea tout , et, lui jetant une corde,
Voilà, dit-il , pour te serrer les boyaux.
Qui fut vexé? La cigogne. Elle en cria de rage.
Mais elle ne dit rien , certes, et elle fut sage.
Au bout d'un mois, c'était un jour de Saint-Martin,
Elle invita ce renard à un grandfestin.
Le malin ne songea pas que c'était un piége.
Il prit ses gants pour n'avoir pas l'onglée,
Unepaire de pantalons noirs et tout neufs,
Son chapeau des dimanches et ses souliers de Bœuf.
Il glissa chez l'oiseau : lui frappant sur le ventre,
« Tout mon cœur, dit- il, maitresse ; excusez mes gants.
Quelle bonne odeur là- haut... je meurs de faim.
Viennent-ils bientôt les gens du festin ?
« Non! Quelle lenteur ! ... Ah! voilà notre dinde
Et notre ami l'oison , et le canard. Pote pote ,
La cigogne aussitôt dans cinq gourdes apporta
Du mijot, du caillé , des rillons , de la bouillie , du brouet.
Il aurait fallu voir jaunir notre compère.
Oh! dit la cigogne, es- tu souffrant, monfrère ?
Qu'as- tu dans le ventre , mon ami , des vers ?
Tiens, tiens, voilà de la santonique dans ce pot.
Canard, aide-le ; oison , faites-le boire,
Notre renard, honteux comme un chien, sortit
Et il n'attendit point qu'on lui ouvrit la porte d'osier,
Pas plus qu'il ne s'attarda pour retourner chez lui.
Il se jeta tout honteux sur un tas de paille,
Et il n'était pas fier. Il bouda contre son ventre.
Mais cent fois dans la nuit il dit en lui-même :
« À quoi sert d'être renard pour être pris comme un enfant !»
Avez-vous connu ces gens de Jarnac,
Qui ne ferrent point leurs chats avec des petits écus ?
Je ne puis pas comprendre leur mode sans pareille
De fourrer la moutarde dans des bouteilles .
C'est, je le crois bien , pour que le renard
N'y puisse pas toucher, quand il veut tuer le ver.
D'après l'auteur : La moutarde de Jarnac est la meilleure de toutes ; mais, de temps immémorial, les fabricants la mettent dans de petites bouteilles. Quand on veut s'en servir, on frappe sur le cul de la bouteille, après l'avoir renversée. Il arrive presque toujours qu'avec une main faible on ne réussit pas, et qu'avec une main forte on éclabousse la table et les convives. C'est l'enfance de la mou- tarde.