EN PATOIS
Smadi dârié, jouquée en in châgne, ine grole
Acachait ent' sés rate in groû mourciâ de mole.
Onte é-tou donc qu'ol é qu'alle l'avait oyut ?
O n'at ouquin d'nous gens qui zou z-ége soyut.
In bigre de renar, ma fi, l'avait beu vuse.
" Oh ! sti dit-i qu'i dit, o faut que je m'amuse.
I se doune le fil, keume lés avocat,
Qu'allan se prend' de bec au preutoèr' de Cougnat ;
I viroune, i reumine, et keume ine supeute,
Tic, tac, en quate cot de cont' l'âbre i se jeute.
Sus sés jote éparan in mouchenez de cou,
Sus sa bourde acoté, fazan le bignotou :
« Sarviteur, sti qu'i dit à la grole, borjoêse !
Qu'envout' doubiet l'bon Guieu saqueine cou'd'angroėse !
Vout' marit et keuman se pourtant-i tretous ?
Et vout' dârié naissut a-t-i guari sa toux ?
Asoèr, sauf vout' raspect, j'ai bein crut feir' ma keurve :
J'ai le peissâ maché keume in toupon de cheurve.
Le silugein m'a dit qu'i dit : « Mon paure amit,
O faut te ménagé, tu sens le chaumenit. »
La grole (keume in cheun quand in drole le suble,
Tout prêt à l'arroché d'in groû mourcià de tuble)
Se taurnit a savait qu'ol était in finau,
A s' moinfiait qu'i li v❜lisse agripé son fricau.
« Oh ! oh ! qu'a se dissit, o faut que je m'en alle,
Et peur détalé, preust ! alle éparit seune ale.
Le renar la luchit ; « Osiâ le pu divar,
Sti, qu'o se seuge pas vut dan to l'univar !
« S'a fazian le cadrou, tu guariris lés poule.
Lés ange danserian au branle de ta goule.
Chante me donc tieû bal que tretous j'admiron,
Tieû bal qui f'rait veulté lés môr dans leû sitron.
Oh ! si je t'entendis tan seurman in' minute,
Je sauteris pu prest que le bran d'dan la blûte ;
Boune, duvre la goule, et je chée à geneuil. »
La grole peur tieû cot s'enfle et rouille des euil :
Sés ballot se duvran keume in pourtiâ d'églisse.
Coa... coa... coa... le fricau de la goule li glisse.
Le renar, sans tansman li feire sarviteur,
Arripit tieû bonbon qu'i croquit de bon kieur.
Enfans, trejau lés sot qu'in finfináu cargeole,
Keume bisse en hivar, se saquan sous la geole.
TRADUCTION
Samedi dernier, perché sur un chêne, un corbeau
Serrait entre ses dents un gros morceau de mou.
Où est-ce donc qu'il l'avait pris ?
Il n'y a personne de chez nous qui l'ait su.
Un bigre de renard, ma foi, l'avait bien vu.
« Oh ! dit-il, il faut que je m'amuse.
Il se donne le fil, comme les avocats
Qui vont se prendre de bec au tribunal de Cognac ;
Il tourne, il réfléchit, et comme une pierre plate sur l'eau,
Tic, tac, en quatre coups près de l'arbre il s'élance.
Sur ses joues étendant un mouchoir de cou ;
Sur son bâton appuyé, faisant le boiteux :
« Je vous salue bien, dit- il au corbeau, bourgeois !
Qu'en votre bissac Dieu mette une queue de lézard.
Votre mari et tout le monde, comment vont-ils ?
Et votre dernier né est- il guéri de son rhume ?
Hier soir, sauf votre respect, j'ai bien cru crever,
J'ai l'estomac battu comme une poignée de chanvre.
Le médecin m'a dit : « Mon pauvre ami,
Il faut te ménager, tu sens le moisi.
Le corbeau (comme un chien que siffle un enfant
S'apprêtant à lui jeter un gros morceau de tuile),
Se retourna. Il savait que c'était un malin ;
Il se défait qu'il voulût lui prendre son fricot.
« Oh ! oh ! se dit- il, il faut que je m'en aille ;
Et pour fuir vivement, il étendit son aile.
Le renard l'appela : « Oiseau le plus récréatif,
Dit-il, qui se soit vu dans l'univers,
Même quand elles vont mourir, tu guérirais les poules ;
« Les anges danseraient au son de ta voix.
Chante-moi donc ce bal que tous nous admirons,
Ce bal qui ferait sauter les morts dans leur cercueil.
Oh ! si je t'entendais seulement une minute,
Je sauterais plus lestement que le son dans le blutoir.
Mon bon, ouvre la bouche, et je tombe à genoux.
Le corbeau, pour le coup, se gonfle et fait les gros yeux ;
Ses lèvres s'ouvrent comme un portail d'église.
Coa... coa... coa... la viande du bec lui glisse.
Le renard, sans même lui donner une poignée de main,
Saisit la viande et la croque de bon cœur.
Enfants, toujours les sots qu'un malin flatte,
Comme un rouge-gorge en hiver, se fourrent sous le piège.