Soldats et matelots, pauvres agriculteurs,
Savetiers, portefaix, plaignez les précepteurs.
Que de soins ! Quelle peine ! Et quelle récompense
Oui, plaignez qui vend la science,
Surtout à certains acheteurs.
Un Maitre ès arts en Moscovie
A ce commerce ingrat gagnait sa pauvre vie ;
Aux enfants d’un épais Baron
Expliquant Letellier, Legendre et Cicéron.
D’ailleurs homme sage, homme habile,
Dont un autre Philippe eût fait choix entre mille ;
Mais là, dans le mépris poursuivant ses travaux,
Jetant ses perles aux pourceaux.
Il espérait qu'un jour de ses offices
On sentirait le prix. Ce jour ne venait pas.
Cependant à chaque repas
Du cuisinier l’on vantait les services.
Quel homme ! Quels ragoûts ! L’empereur n’a pas mieux !
Choqué d’un discours si peu sage,
Le précepteur baissait les yeux.
« Un père ainsi parler ! On gâte mon ouvrage. »
A sa condition lorsqu’il eût bien songé,
Le pédagogue enfin demanda son congé.
« Eh! pourquoi donc, Monsieur ? lui dit le Moscovite. —
Seigneur, pour vous servir j’ai trop peu de mérite.
Vous prisez les talents ; le pourrais-je nier ?
J’en ai vu la preuve paraitre,
Et ne voudrais pas d’autre maître,
Si Dieu m’eût fait bon cuisinier.

Livre VI, fable 10




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