Le Pâtre et ses Chiens Jean-Jacques Porchat (1800 - 1864)

Un Pâtre dans sa bergerie
Fut par la neige emprisonné.
Lecteur, n’en sois pas étonné :
Ce n’est merveille en ma patrie.
Le village était loin ; nul espoir de secours.
Il fallut au chalet attendre les beaux jours.
On pouvait usant de ménage,
Vivant de lait et de fromage,
Patienter longtemps, épargner le chédal :
Mais quoi ? Maître et valets de ces mets se lassèrent.
Contre l’étable ils conspirèrent,
Se donnant sous la neige un bout de carnaval.
On se met à l'œuvre ; on assomme
Un pauvre bœuf ; tel est le prix de leurs travaux.
Homère en détail dirait comme
On enleva le cuir, comme on fit cent morceaux ;
Comme on les mit en broche, au saloir, et le reste.
L’hiver fut long ; le bœuf ne suffit pas.
Ce retard, au bercail funeste,
D'un mouton causa le trépas.
Les Chiens alors se regardèrent,
Et, témoins de sa mort, pour eux-mêmes tremblèrent.
« Amis, dit le plus vieux, si le méchant pasteur
A mangé son bœuf laboureur,
S’il égorge un mouton, paisible créature
Dont la toison jusqu’à ce jour
L’a garanti de la froidure,
Qu’attendons~nous encor ? Demain c’est notre tour.
Plus que ces malheureux lui sommes-nous utiles?
Nenni, mais grâce au ciel nos pieds sont plus agiles.
Sortons de ce repaire, et bravons les frimas.
Je les crains moins que les ingrats. »

Livre VI, fable 12




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