Le Loup ayant appris la Guerre aux Chiens L-S du Ruisseau (16?? - 17?)

Au tems que les Loups moins féroces
Se contentaient de leurs Forêts,
Et que l'on voyait nos Guérets
Exempts de leurs crimes atroces ;
Les Chiens dans la tranquillité
Passaient paisiblement leurs vies ;
Les Bergers pour leurs Bergeries
Vivaient en pleine sûreté.
Mais un Loup furieux, farouche, impitoyable,
A tous ses voisins redoutable ,
Vint troubler cet heureux repos;
Comme il ne se plaisait qu'au milieu du carnage
On voyait en tous lieux des marques de sa rage
Sur les Chiens et sur les Troupeaux.
A la fin contre lui les Bergers se liguèrent ,
Et leurs Chiens aux combats dressèrent ;
Mais qui toujours battus dans les commencements
Par divers gestes témoignèrent
Qu'ils ne se plaisaient pas à de tels passe-temps.
Les Moutons qui n'osaient paraître dans les champs
De ce fléau comme eux se lassèrent.
Quoi, disaient-ils entr'eux, sans espoir d'aucun gain
Nous soutiendrons le faix d'une guerre effroyable,
Sans doute qu'une paix doit être préférable :
Elle procurera peut-être le moyen
De pouvoir contenter la faim
De cette Bête insatiable.
Cette paix donc se fit ou plutôt se plâtra,
Comme Sire Loup le jugea ;
Qui ne dura qu'autant qu'il la crut nécessaire
A ses desseins pernicieux ;
Car pour lors s'occupant à visiter les lieux
Propres à contenter son ardeur sanguinaire ,
Il vint par des sentiers nouveaux
Au milieu de la paix fondre sur les Troupeaux.
Tout céda, tout fit jour à fa fureur extrême ,
Chiens, Troupeaux et les Bergers même.
Mais après maints Combats donnés,
Où la plupart du temps les Chiens eurent du pire,
On les vit à la fin tellement acharnés,
Que le Loup à fon tour n'eût plus sujet de rire.
Il connut à son dam cet insigne Larron,
Qu'à force de forger on devient Forgeron.
Par tout on lui rendit le change et la pareille.
Un jour dans un combat il perdit une oreille,
Sa queue un autre jour demeura pour butin
Dedans la gueule d'un Mâtin.
Un Renard qui le vit dans ce triste équipage
Lui fit, dit-on, ce compliment,
Camarade, les Chiens t'ont payé grassement
Le prix de leur apprentissage.
Un Grec sût régaler d'un semblable langage
Autrefois un pareil Héros
Ennemi de la Paix, Ennemi du repos.
Mais pourquoi recourir aux Histoires antiques,
Puis que nous pouvons dans nos jours
Au Prince qui se sert de ces moyens obliques
A dresser le même discours.
L'Anglois, le Germain, le Batave,
Après l'avoir chassé de Nimégue et de Grave,
Affranchi jusqu'à Hui la Meuse de son joug,
Ensuite toute l'Allemagne,
Sous leurs Chefs redoutez Eugène et Marlborough,
L'ont enfin de nouveau la dernière Campagne,
Chassé du Pays-Bas, d'Italie et d'Espagne.

Livre I, fable 1




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