En pays étranger, dans deux ou trois cantons,
Côte à côte vivaient les loups et les moutons.
Affirmer qu’ils faisaient ensemble bon ménage
Serait narrer ici les contes d’un autre âge.
Le loup effrontément enlevait la brebis
Qui broutait en avril l’herbe des prés fleuris
Et des vertes forêts. Avant qu’elle eût bêlée
Le compère l’avait au trois quart avalée.
Un bouc témoin du fait rassembla le troupeau :
Il est grand temps, dit-il, de sauver votre peau,
Sinon jeune brebis, mignon petit agneau
Ainsi croqués vivants auraient même tombeau.
Bannissez tous les loups ! cria la multitude.
Le bouc les interna dans une solitude
Bien au-delà des mers,
À l’autre bout de l’univers.
Un repos s’en suivit. On vécut en églogue.
Le repos fut troublé par un idéologue
Aspirant à se faire une célébrité ;
L’ambitieux rêvait la popularité.
Où la trouverait-il ?… à sensiblement plaindre
Le sort des exilés, dont il se mit à peindre
L’isolement profond, les remords, la douleur,
Tout en récriminant contre le bouc sans cœur,
Qui pour quelques méfaits, un rien, de menus crimes,
Vouaient pis qu’au trépas ses touchantes victimes.
« Oubliez ! pardonnez ! ô généreux moutons,
« Vous les verrez manger l’herbe que nous broutons. »
L’éloquent plaidoyer convainquit l’auditoire.
Les loups amnistiés rendus au territoire
Firent les convertis à leur débarquement.
Mais un loup est un loup, et son amendement
Ne sera pas d’aimer paître la marjolaine
Ni de laisser en paix le troupeau dans la plaine.
Les crédules moutons décimés sous ses coups,
Comprirent qu’ils étaient de véritables fous
D’avoir cru bonnement au repentir des loups.