De voir réussir le méchant
Ne sois jaloux aucunement.
Ce n’est jamais impunément
Que l’on suit un mauvais penchant.
Aux succès des médians ne portons point envie ;
A leur bonheur le sage ne croit pas.
Les imiter serait folie :
Craignons du mal les dangereux appas.
Un renard, jeune encor, qui voyait ses confrères,
Chaque jour mettre au croc quelque poulet nouveau,
Voulut avoir aussi son lopin du gâteau,
Lopin qui jusqu’alors ne l’avait tenté guères.
Novice au métier de renard
Il craignait le danger, se tenait à l’écart,
Vivant sans amour du pillage :
C’était prudent; il était sage.
Mais quoi ! chez tous les siens volaille abonderait,
Et de repas à fa légère,
De mets chétifs, lui se contenterait !
C’était d’un soi……Lassé de faire maigre chère:
« Mes frères à leurs repas
» Auront, dit-il, chapons et poulets gras,
» Tout à souhait? moi, non? je vivrai de lésine,
» Je n’oserai pour ma cuisine
» Quelque vieux coq à mon tour dépêcher?
» Et qui donc, s’il vous plaît, pourrait m’en empêcher?
» La peur? belle raison! Que me faudrait-il faire?
» Surprendre un poulailler, la nuit entrer dedans,
» rendant que tout dort, chiens et gens,
» Est-ce donc si terrible affaire !
» Oh! que je me retourne un peu,
» Et le fermier verra beau jeu !
» Cela dit, le voilà qui se met en campagne,
Qui va, qui vient d’un et d’autre côte,
Tourne, rôde, fait tant, qu’en pays de cocagne
Le compère se crut à la lin transporté.
Près d’un bois, à l’écart, par propice aventure,
Poulets, dindons, enfin bonne capture,
Avaient leur poulailler.
Il s’embusque, et bientôt voit sortir le fermier,
Son chien aussi, les valets même,
Notre larron s’apprête, et sa joie est extrême.
Jurant de ne rien épargner,
Il laisse aux gens le temps de s’éloigner,
Puis, quand il croit le moment favorable,
Il s’élance, arrive en deux bonds,
Déchire, étrangle et poules et dindons,
Canards, coqs, poulets et chapons:
Il fait un massacre effroyable…
Puis, quand il eut bien pillé,
Bien de la griffe et des dents travaillé,
Et qu’il crut pour ce jour de besogne assez faite,
Mon galant songe à la retraite.
Mais quelqu’un l’avait entendu :
Déjà sur le lieu du carnage,
Valets, chiens et fermier, chacun avait couru.
Quand les gens virent son ouvrage,
Je laisse à juger quel courroux !
Le larron périt sous leurs coups.