Les Lapins Joseph Hüe (1800 - 1836)

Ne suis conseil de toutes gens:
Il est trop d’amis imprudents
Qui, par de doux entraînements,
Vous jettent en maints accidents.

Un conseil est-il sage? oh ! nous nous en moquons.;
Pour lui nous n’avons point d’oreille :
Mais est-il mauvais? c’est merveille
De voir comme à le suivre aucuns nous ne manquons.
Des lapins, dans une garenne,
Parmi le serpolet, le thym, la marjolaine,
Sans alarmes vivaient comme sans embarras :
Maints fossés qui servaient à ces lieux de clôture,
Des chasseurs arrêtant les pas,
C’était une retraite sûre,
Où nos gens pouvaient à loisir
Brouter l’herbe tendre et fleurie,
Faire chère et mener douce et joyeuse vie.
Mais quoi! tout lasse enfin, et même le plaisir :
Un bonheur qui n’est point mêlé de quelque peine
N’en est plus un pour nous. Un jour, certain lapin :
« Nous ne trouvons ici, dit-il, que marjolaine,
Lavande, serpolet, ou thym,
Cela bien fort me dégoûte et m’ennuie.
Frères, que n’allons-nous chercher en d’autres lieux
Nouvelle vie? enfin quelque chose de mieux
Que cette herbe? Voyez, elle est toute flétrie.
Là-bas, vers ces fossés, dont, je ne sais pourquoi,
Nous n’osons approcher, il me paraît à moi
Qu’elle est et plus fraîche et plus verte :
Que nous coûterait-il de nous en assurer ? »
Ainsi dit, ainsi fait : et chacun d’y trotter,
Bien fous de ne pas voir qu’ils couraient à leur perle!
Car certain chasseur qui les vit
Se donnant à l’envi carrière,
Maints lacs sous l’herbe leur tendit,
Et de plus d’un lapin garait sa gibecière.

Les mauvais conseilleurs abondent ici-bas,
Détestable et maudite engeance,
Dont pourtant la jeunesse, hélas !
Écoute les avis toujours de préférence !

Fables nouvelles en vers, à l'usage de l'enfance, 1837




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