Tous les arts ont en eux une céleste flamme
Qui charme les esprits et s’empare de l’âme ;
Mais, plus que la peinture et que le Gay sçavoir,
La musique a sur nous ce merveilleux pouvoir ;
Elle touche les cœurs, les attendrit, les change,
Et même d’un démon elle peut faire un ange.
La preuve, c’est le fait que je vais raconter :
Veuillez donc, je vous prie, un instant m’écouter.
Ensemble remontons deux siècles en arrière,
Alors de Stradella l’Italie était fière ;
Et Stradella, c’était un jeune Italien,
Renommé pour sa voix et très-bon musicien.
Le sort de cet artiste était digne d’envie :
Tout lui réussissait ; mais, hélas ! cette vie
Est un séjour d’épreuve ; ici-bas, tour à tour,
Chacun voit à son flanc s’attacher le vautour
Qui jadis dévora celui de Prométhée,
Homme rempli d’orgueil et le premier athée.
Or, le cruel vautour du pauvre Stradella,
C’était un Vénitien nommé Campanella,
Dont il avait jadis, par une grave offense,
Excité contre lui la haine et la vengeance,
Qui pour le perdre avait soudoyé deux bandits,
Scélérats que le ciel semblait avoir maudits.
Ces lâches assassins, habitués au crime,
Cherchaient l’occasion de frapper leur victime.
Ils apprennent un jour que Stradella se rend
A Rome, pour chanter à Saint-Jean-de Latran.
Ils entrent dans le temple, avec le but coupable
De perpétrer enfin leur crime abominable.
Ils sont là, l’œil au guet, la main sur le stylet,
Prêts, au moment propice, à frapper sans délai.
La foule, ce jour-là, dans l’église est immense ;
On regarde, on attend ; la messe enfin commence.
A l’agitation, soudain dans le saint lieu,
Succèdent la prière et le respect de Dieu.
A l’orgue, aux chants pieux, divine symphonie,
La voix de Stradella mêle son harmonie ;
Il n’est rien de plus pur, rien de plus entraînant,
On éprouve à l’entendre un charme surprenant.
Quelle limpidité ! quel art ! Aiguë ou grave,
La voix de Stradella, toujours belle et suave,
Séduit, impressionne, émeut, touche les cœurs,
Et plairait même à Dieu dans les célestes chœurs.
Ces chants mélodieux accompagnant l’office,
Et le prêtre à l’autel offrant le sacrifice,
Calment les passions, les chagrins, la douleur,
Réveillent la vertu, ramènent le bonheur.
L’homme impie et méchant, corrompu par nature,
Qui méconnaît le bien, l’âme enfin la plus dure
Se transforme, et soudain des condottieri
L’esprit vers Dieu s’élève et le cœur s’attendrit.
O puissance du beau, pouvoir de la prière !
Ils jettent bien loin d’eux leur arme meurtrière,
Et voulant désormais se dévouer au bien,
Ils jurent de sauver l’artiste italien,
De chérir la vertu, de détester le vice,
Et d’abhorrer toujours le crime et l’injustice.
Qui charme les esprits et s’empare de l’âme,
Tous les chants ont cessé pleins de contrition
Les brigands convertis se mêlent à la foule,
Qui ne sort qu’à regret, et lentement s’écoule,
Rejoignent Stradella, tombent à ses genoux,
S’écriant tout en pleurs : « Signor, pardonnez-nous !
» Notre vie à tous deux fut une vie infâme ;
» Mais votre voix si belle a su toucher notre âme ;
» Elle vous a sauvé de la mort, Stradella,
» Car tous deux nous devions vous assassiner là.
» A vos pieds nous brisons le pacte qui nous lie
» A celui qui vous hait ; mais quittez l’Italie,
» Implacable ennemi, croyez-nous, tôt ou tard
» Sa haine vous ferait tomber sous le poignard. »
Bénissant du Très-Haut la bonté, la puissance,
Un instant Stradella reste dans le silence ;
Il admirait comment le ciel, d’un assassin,
Peut faire un honnête homme et, s’il le veut, un saint.
« J’ignorais, » leur dit-il en essuyant ses larmes,
» Qu’à ma voix le Seigneur eût donné tant de charmes,
» Mais puisqu’elle vous a mis sur le droit chemin,
» J’en suis heureux et fier, et je vous tends la main. »