Le Singe artilleur Léon-Louis Buron (1810 - 1895)

Jadis, près des remparts d’une place très-forte,
Que défendaient canons, engins de toute sorte,
Logeait, dans un grenier,
Un pauvre cordonnier.
Quoiqu’il ne sût, souvent, ce malheureux Huninge,
Comment vivre lui-même, il nourrissait un singe ;
Non pas un ouistiti,
Mais singe vigoureux et de bon appétit.
C’est assez l’ordinaire,
Qu’ainsi les pauvres gens augmentent leur misère !
Faut-il les en blâmer ?
Quels sont leurs plaisirs en ce monde ?
Qui trouvent-ils Jour les aimer ?
Ce singe était connu de chacun à la ronde,
Surtout d’un canonnier,
Ami du cordonnier.
Magot adroit, agile et leste
(Magot, du singe était le nom),
Et, par nature, peu modeste,
Sitôt qu’on tirait le canon
En deux bonds, preste,
Escaladait le rempart,
Et même à l’exercice il voulait prendre part.
On lui riait au nez de sa trop grande audace,
Alors aux canonniers il faisait la grimace.
Pétri d’orgueil et curieux,
Il aimait à connaître des choses
Les effets et les causes,
Il eût voulu comprendre et la terre et les cieux.
« Parbleu ! la belle affaire, »
Se dit-il un beau jour ;
« D’imiter ce que l’on voit faire.
Je veux jouer un bon tour,
Et comme Jupiter, au moyen de la poudre,
Je veux lancer la foudre,
Et tirer le canon ;
Et pourquoi non ? *
Oui, quoique singe l’on me nomme,
Certes, je vaux bien un homme ;
Il en est même, en bonne foi,
De plus bêtes que moi. »
— Oh ! oh ! là, je t’arrête, et tu t’en fais accroire,
Outrecuidant Magot ! du moins j’aime à le croire.
Ce singe donc, raisonneur et mutin,
Sur les remparts de la ville
S’élance un beau matin.
Tout, à cette heure’, était tranquille,
Et notre bizarre artilleur
Avisant le canon le plus gros, le meilleur,
Vite se dépêche
De s’emparer de la mèche
Qu’il allume aussitôt. « Ah ! oui-da, le beau jeu ! »
Pense-t-il enchanté ; puis de suite il se place,
Pour mieux voir, juste en face
De la bouche ; « tirons, » dit-il : « un, deux, trois, feu ! »
Le coup part, coup terrible, au tonnerre semblable,
L’écho répète au loin ce bruit épouvantable ;
On accourt en tremblant… On voit sur les remparts
Du pauvre singe, hélas ! tous les membres épars,
Et prouvant, par sa mort, qu’imiter c’est démence,
Si l’on ne le sait faire avec intelligence.

Ainsi qu’en faux docteurs,
Le genre humain abonde en sots imitateurs.





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