Le Corbeau et la Cruche Louis Auguste Bourguin (1800 - 1880)

Ce que force ne peut, adresse le surmonte : .
Écoutez à l'appui cette histoire ou ce conte.

Un corbeau, tombé jeune aux mains d'un jardinier,
Captif apprivoisé vivait dans son parterre,
Le jour, sautant, courant, grimpant sur l'espalier,
Et, la nuit, dormant dans la serre.
Quand son maître bêchait ou ratissait la terre,
D'un travail monotone adoucissant l'ennui,
L'oiseau suivait ses pas et jasait avec lui.
Taupes, vers et lézards, étaient sa nourriture ;
Pour sa soif un ruisseau d'eau pure
Semblait couler exprès dans un coin du jardin.
Mais un jour, du soleil la chaleur dévorante
(On était à la fin de juin),
Avait tari les eaux de la source expirante,
Et d'une ardente soif le corbeau consumé,
Suit en vain du ruisseau le lit accoutumé ,
Pas une goutte d'eau ne reste sur le sable.
Il va, vient, fait cent tours ; d'une voix lamentable
Il appelle ; personne. En sa chambre enfermé,
Son maître dort, laissant sa tâche inachevée.
L'oiseau désespéré cherche de toute part,
Et dans la serre, par hasard,
Trouve au fond d'une cruche un peu d'eau conservée.
Mais comment faire pour l'avoir ?
Atteindre jusqu'à l'eau n'est pas en son pouvoir,
Tant la cruche est profonde et d'étroite ouverture ;
Vainement de son bec il cherche à la percer,
Vainement à la renverser ;
Sa force est épuisée, et dans cette aventure
De Tantale aux enfers il éprouve le sort,
Quand la nécessité, mère de l'industrie,
Fait qu'il tente un nouvel effort:
Dans le lit desséché de la source tarie
Le corbeau rassemble d'abord
Bon nombre de cailloux, puis notre bon apôtre
Les vient par le goulot jeter l'un après l'autre,
Et fait monter l'eau jusqu'au bord.

J'en reviens à ma thèse : en un cas de détresse,
La force ne vaut pas l'adresse.

Livre II, Fable 7, 1856




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