Un jour qu'étendus sur l'herbette,
Colin et ses deux chiens, à l'abri du soleil,
Avec sécurité se livraient au sommeil,
Un mouton, du troupeau la plus mauvaise tête,
A ses compagnons ébahis,
Autour de lui pressés, en cercle réunis,
En ces mots adressa ce discours dans la plaine :
Frères, souffrirons-nous que toujours l'on nous mène
Que constamment à nos côtés
Des bergers, des matins postés en sentinelles,
Pour les moindres écarts, les moindres bagatelles
Nous fassent endurer mille brutalités ?
Quoi ! les blés les plus verts, les plus fraîches prairies,
A l'envi tous les jours s'offriront à nos yeux,
Forcés de pâturer en des endroits pierreux,
Nous n'aurons pour tout lot que des herbes flétries ?
Amis, c'est trop longtemps souffrir,
C'est trop supporter l'esclavage,
D'un joug aussi honteux, sans tarder davantage,
Sachons enfin nous affranchir.
Profitons, croyez-moi, de cet instant propice
Et que chacun de nous, portant au loin ses pas,
Sans la moindre gène choisisse
Les pâturages les plus gras.
A peine avait-il dit, qu'aussitôt l'assemblée,
De ce beau projet affolée,
Par un murmure approbateur,
Avec enthousiasme accueillit l'orateur.
Quelques mères brebis vainement objectèrent
Des mais, des si.., tous simultanément,
Jusqu'aux moindres agneaux de plaisir bondissant,
Sur le champ même décampèrent,
Broutant à droite, à gauche, orges, seigles et blés.
Notre imprudent pasteur cependant se réveille,
Baille, se lève, et croit qu'il rêve, qu'il sommeille,
En voyant dans les champs ses moutons dispersés,
Par des cultivateurs à grands cris pourchassés,
îl accourt ; mais déjà la troupe vagabonde
Dans le taillis épais d'une forêt profonde
Venait de pénétrer. Accablé de douleur
Il s'arrête, il écoute 0 comble de malheur !
Des bêlements plaintifs, des hurlements de joie,
Viennent alors apprendre au malheureux Colin,
De son troupeau la triste fin :
Les loups en avaient fait leur proie.
Ô toi qui souvent suis avec empressement,
Ardente et crédule jeunesse,
Les funestes conseils d'un mauvais garnement,
Souviens-t'en, c'est à toi que ma Fable s'adresse.