Ah ! cette fois, la chose est trop notoire :
Je ne t'ai laissé seul que la moitié du jour,
Et qu'aperçois-je à mon retour ?
Hélas ! ma pauvre brebis noire
Sur le sol étendue et baignant dans son sang.
Je ne puis en douter, c'est ta dent scélérate,
Bête ingrate,
Qui vient de lui percer le flanc.
En vain tu me diras qu'elle fut égorgée
Par un loup. Vil menteur ! ce loup l'aurait mangée.
Quelle était mon erreur ! je croyais bonnement
À tout ce que disait cet être détestable.
L'autre semaine encor, et sans savoir comment,
Dans un taillis prochain, à cent pas de l'étable,
Tout à coup disparut Robin, mon beau mouton ;
Cependant tout fut mis sur le dos du glouton.
Mais enfin, c'en est fait, pour toi plus de refuge,
Et tu vas à l'instant recevoir le trépas.
Avant de me frapper ne te refuse pas
A m'entendre un moment, et sois alors mon juge.
Vois-tu, derrière toi, le chien du vieux Lucas ?
Dans ses regards la rage est peinte ;
Du sang de ta brebis sa gueule est encor teinte ;
Lui seul est criminel. Tais-toi, lâche animal ;
Il est moins fort que toi. Témoin de sa furie,
Tu pouvais l'écarter de ma brebis chérie.
Reçois donc du bâton. Qui voit faire le mal
Et ne l'empêche pas, s'il s'en trouve capable,
Est lui-même coupable.